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  • Faute de temps, ces quelques éléments restent très en deçà du sujet.

     

    Des nouvelles du fond, un panorama du secteur minier international (b)

     

    -Phoenix minier…

    « The death of mining »

    Couverture de Business Week en décembre 84

    « Le charbon talonnera le pétrole comme première source d’énergie mondiale dans cinq ans et devrait le dépasser d’ici à dix ans, selon un rapport publié, mardi 18 décembre, par l’Agence internationale de l’énergie. « Le charbon a représenté près de la moitié de la hausse de la demande mondiale d’énergie » depuis 2000 selon l’AIE. » Le Monde 19/12/12

    Si de Marx à l’Histoire, il était à la mode dans les années 80 d’enterrer à tort et à travers, le secteur minier n’en a pas moins traversé à l’époque une crise profonde qui a été à l’origine de recompositions spectaculaires (voir Pig is beautiful plus loin). Mais depuis le tournant 2000 et la hausse des prix, l’industrie extractive est devenue la plus rentable du monde (Ainsi dans les métaux, les bénéfices des grands groupes sont passés de 4,4 milliards en 2002 à 67 en 2006, avant de baisser puis de repartir en 2010). Les lenteurs propres au secteur (il faut 10 ans pour « faire » une mine) et les résultats mitigés de prospections toujours plus couteuses devraient garantir encore longtemps des cours hauts. Surtout qu’a côté de la demande maintenue, en grande partie grace à la Chine, en minerais classiques (Fer, Zinc, Nickel, Cuivre, Bauxite, etc.), les marchés de minerais atypiques et de terres rares connaissent un essor sans précédent. C’est ainsi le cas pour le platine, dont la production n’a vraiment pris son essor que dans les années 60 et qui se vend désormais plus cher que l’or (45 000 euros le kilo). D’ailleurs les américains, inquiets de l’exceptionnelle concentration géographique et centralisation capitalistique du secteur (90 % de la production en Afrique du sud contrôlée par trois groupes), ont inscrit les 3 métaux du groupe platine dans leur liste des 8 matières premières stratégiques « indispensables en temps de paix comme de guerre ». Que ce soit pour fournir les aciéries chinoises , la silicon valley ou produire de l’énergie  (Cf. le renversement prévu d’hégémonie entre charbon et pétrole et le recours aux gaz de schiste aux Etats-Unis et maintenant en Grande Bretagne), la renaissance du phœnix minier est en train de dissiper les mirages de la transition écologique et du « green new deal », énièmes revival de nostalgie fordiste avec leur production de masse durable, consommation de masse  responsable et concorde sociale dans la citoyenneté du tri et de l’équitable.

    … mirage vert… 

    Energies renouvelables et technologies propres qui n’auraient d’ailleurs pas pu longtemps maquiller leurs « à-côtés ». Ainsi, le platine n’appartient certes pas à la catégorie des survivances de la première ère industrielle. Il est difficile de faire le tri dans ses multiples usages on ne peut plus modernes, des pots catalytiques (antipollution) à la chimiothérapie, des simulateurs cardiaques aux nez de missile en passant par la bijouterie, la dentisterie et les engrais. En tout cas, à l’image de l’électronique et des sciences du vivant, piliers de cette « troisième révolution  industrielle » qui s’insinue dans tous les interstices de l’existence, que ce soit pour votre voiture, votre plombage dentaire ou votre traitement contre le cancer, vous participez effectivement à un moment ou à un autre à « l’économie circulaire » (Rifkin) des nouvelles retombées polluantes… de la lutte contre la pollution : « depuis que le platine est utilisé abondamment comme catalyseur, on commence à le trouver dans tous les compartiments de l’environnement et notamment dans l’air urbain. La pluie lessive l’air et les eaux de ruissellement l’apportent aux stations d’épurations urbaines, où il s’ajoute à celui qui provient des urines (dont celles des patients traités contre le cancer) des excréments et de certains déchets industriels. »[1]

    Certes, après les luttes récentes dans les mines sud-africaines, le recyclage, variante moderne de substitution de capital au travail, se développera dans les pays riches, c’est du moins la menace qu’ont agité les barons du secteur. Mais, même repeint en vert, ce n’est pas demain que le capital pourra se passer de ces « deux sources d’ou jaillissent toute richesse : la terre et le travailleur. »(Marx)

    …et sous-sol de la contradiction.

    Dans ce passage fameux du Capital, Marx parle plus précisément de leur épuisement par le fait même du développement technique, ce qui ramène à la vaste question des ressources. Précisons d’abord que les fétichistes du « pic pétrolier »[2] et autres cassandres de la pénurie, qui voudraient voir dans cette limite objective, nouvelle mouture de la décadence ?, une sorte de point d’Archimède du renversement du capitalisme, oublient un peu vite, eux pourtant contempteurs de la marchandisation,  l’aptitude du capital à constamment créer de nouvelles ressources, du génome aux abysses par exemple. Et encore une fois, la détermination d’un régime énergétique

    (au sens large)  n’est au final pas technique mais sociale. Comme le rappelle le texte  Midnight Oil : « Dans son application immédiate au procès de production, l’énergie libère le capital du travail. Il s’ensuit que le contrôle de l’approvisionnement et du prix de l’énergie signifie le contrôle sur les conditions technologiques de la lutte de classe internationalement et aussi le contrôle sur le développement économique. » Mais on peut aussi préciser que dés lors que la reproduction de la force de travail devient, avec le passage à la subordination réelle, un moment central du cycle du capital, le prix à la pompe ou l’approvisionnement en métaux rares pour la fabrication de tablettes numériques interagissent bien évidemment avec l’organisation de l’exploitation. Or c’est justement la question du rapport entre reproduction de la force de travail et valorisation, au nord comme au sud[3], qui est au cœur d’une crise, dont le secteur minier illustre à la fois les méandres et l’éventuel dépassement.

      

    -Pig is beautiful

    Le secteur minier international a connu ces trois dernières décennies une évolution globalement inverse à celui des hydrocarbures. Alors que dans ce dernier on a assisté à la montée en puissance des sociétés d’Etat au détriment de feu le « cartel des sept sœurs », dans le secteur de l’extraction minière la plupart des nationalisations des années 50 à 70 ont été annulées, du fait de la baisse des prix mais aussi, notamment en Afrique et en Amérique du sud, grace aux plans d’ajustement du FMI. On ne compte d’ailleurs plus que deux entreprises d’Etat jouant un rôle mondial, LKAB en Suède et CODELCO au Chili, ultimes bastions de « l’aristocratie ouvrière » minière. Les dernières grandes privatisations, celle de CVRD, devenu Vale, en 97 au Brésil, ou celles en cours en Inde, sous l’égide du secrétaire d’Etat au désinvestissement public ( !), qui concernent Coal India (premier producteur mondial de charbon) et Hindustan Copper (producteur de cuivre), annonce la naissance de nouveaux mastodontes dans l’hémisphère sud.

    Ce qui est une réponse du berger à la bergère, puisque d’ores et déjà le secteur minier, pourtant par nature très dispersé, est l’un des plus centralisé[4] au monde. Cela est du notamment à la vague d’OPA et de fusions-acquisitions, commencée au tournant 2000 et qui s’est poursuivie jusqu’à l’orée de la crise. Ce mouvement d’une ampleur impressionnante, amorcé par la mégafusion de BHP et Billiton en 2001, c’est pour ainsi dire emballé ce qui a donné lieu à quelques déconvenues comme l’échec du rachat par BHP-Billiton (n°1) de Rio Tinto (n°2 mondial) en 2008 ou du canadien Potash en 2010.

    On peut illustrer cette frénésie d’acquisition et ses aléas en suivant l’évolution du groupe suisse Xstrata, le plus internationalisé de tous et détenteur de 25% de Lonmin, propriétaire de la mine de Marikana. Après avoir réalisé pas moins de 6 acquisitions importantes entre 2002 et 2006( Enex resources (02), Duiker Minig (02), MIM holdings (03) et WMC ressources (04), Falconbridge Canada (06) et Carbones del cerreyon la même année) et avoir tenté sans succès une OPA sur Lonmin en 2008, le groupe a cherché à se rapprocher successivement de Vale, Rio Tinto puis Anglo-american avant finalement de fusionner actuellement avec le négociant Glencore, pour donner naissance au quatrième groupe minier mondial, présent donc à l’amont et à l’aval pour plus de la moitié de la production de zinc ou de cuivre mondial. La tendance à contrôler toute la chaine de la production à la revente en passant par l’acheminement concerne tout le secteur, ainsi Vale qui gère 10 500 km de voies ferrés sur les 29 000 que compte le Brésil, ainsi que huit terminaux portuaires et a établi sa succursale de négoce dans un canton suisse[5].

    Même si il est un peu tôt pour crier a un retour du « capitalisme monopoliste » à la Baran et Sweesy, on n’est déjà plus exactement là dans la concurrence oligopolistique qui a caractérisé la première phase de la globalisation (Pour certains métaux, on tend au duopole, entre une société transnationale très extravertie et une ex-société nationale ayant gardé son monopole de production). Si on peut expliquer cette centralisation par de nombreux facteurs (envolée des cours et épuisement de certains filons, coûts croissants d’extraction qui font qu’il est plus rentable de racheter le voisin, abondance de liquidités internationales cherchant à se « solidifier », etc.…), elle participe d’une recomposition qu’on trouve à un niveau moindre un peu partout

    (multiplication des partenariats dans l’automobile, les transports, la défense ou encore la restructuration actuelle des secteurs bancaires et financiers) et qui correspond à un stade nouveau de globalisation.

     

    -Dur comme fer

    Bien évidemment, un tel contrôle des sociétés transnationales sur les ressources et donc leur pouvoir quasi discrétionnaire sur les prix ne peut que créer des tensions avec les pays acheteurs et les industries de transformation. Le marché du fer l’a illustré récemment. Jusqu’en 2010, les prix y étaient plus ou moins cartellisés puisque fixés annuellement lors d’une rencontre entre groupes sidérurgistes et miniers. Mais ce qui était «le dernier système de stabilisation des prix d’une matière première » a succombé du fait de l’importance de la demande chinoise (Cf. sa bulle immobilière) et de son caractère fortement erratique voire absurde puisqu’en achetant principalement au comptant, les sidérurgistes chinois payaient deux fois le prix contractuel. Désormais, les accords sont trimestriels et indexés sur les prix du marché libre, ce qui a donné lieu à des variations spectaculaires selon le bon vouloir des trois gros du secteur ( BHP-Billiton, Rio Tinto et Vale). Et si ils sont encore trois, c’est que les chinois ont réussi, en 2008, à faire échouer la fusion des deux premiers, en tentant par surprise de monter au capital de Rio Tinto, étant prêt, au passage, à débourser pour cela le montant le plus élevé jamais engagé par une entreprise chinoise dans une opération à l’étranger. Montée au capital finalement refusé en juin 2009, ce qui provoqua l’arrestation à Shanghai de 4 cadres de Rio Tinto, inculpés pour vol de secrets commerciaux. La petite guerre est probablement partie pour continuer, puisque BHP et Rio Tinto ont annoncé leur intention de mettre en commun leurs mines de fer australiennes. Les chinois ne sont d’ailleurs pas les seuls à s’inquiéter et s’organiser face au pouvoir exorbitant des groupes miniers. Ainsi, les japonais qui ont une longue expérience en la matière mais aussi les allemands[6] et l’union Européenne qui multiplie les accords bilatéraux avec des pays producteurs (comme tout récemment avec la Colombie et le Pérou).

    Au-delà de l’affrontement entre le Hulk minier et le Godzilla étatique, il y a bien ici une forme mineure de disjonction entre section I (section productrice des moyens de production) et section II (section productrice des moyens de consommation). Rappelons l’analyse classique à ce sujet : « L’accumulation capitaliste est nécessairement heurtée. Elle prend son impulsion dans le développement autonome de la section I qui dresse une barrière devant l’accumulation. Cette barrière ne peut être levée que si la production capitaliste bouleverse les conditions d’existence du salariat. C’est seulement par cette transformation sociale que la production de marchandises peut avoir le rythme d’expansion qui permet de réaliser tendanciellement le développement harmonisé des deux sections, condition nécessaire d’un rythme régulier d’accumulation. » (Aglietta Régulation et crises du capitalisme) Il serait bien sûr absurde de vouloir plaquer cette analyse, juste pour l’occident de 14/45, à la situation actuelle. On fait plus face à un effet circonstanciel de la centralisation, qu’à « un développement autonome », au sens technique, du secteur de l’extraction minière. Il n’en est pas moins intéressant de noter que cette guerre du fer, participe de la crise larvée du modèle chinois et de son enjeu central, c’est à dire l’incapacité du capital chinois, aujourd’hui à discipliner son prolétariat et donc peut-être demain à l’intégrer dans une variante autoritaire de proto-fordisme.

     

    -Corridors et ilots

    « Dans l’industrie extractive, celle des mines par exemple, les matières premières n’entrent pas comme élément des avances, puisque l’objet du travail est non le fruit d’un travail antérieur, mais bien le don gratuit de la nature, tel que le métal, le minerai, le charbon, les pierres, etc. Le capital constant se borne donc presque exclusivement à l’avance en outillage, qu’une augmentation de travail n’affecte pas (…) Mais les autres circonstances restant les mêmes, la valeur et la masse de produit se multiplieront en raison directe du travail appliqué aux mines. De même qu’au premier jour de la vie industrielle, l’homme et la nature y agissent de concert comme sources primitives de la richesse. Voilà donc grace à l’élasticité de la force ouvrière, le terrain de l’accumulation élargie sans agrandissement préalable de capital avancé. » Marx Le Capital

    Les théories bourgeoises de la propriété doivent certainement beaucoup à ce secteur minier doté d’une si formidable aptitude à l’auto-engendrement et l’expansion, à l’image de la machine à vapeur inventée pour drainer l’eau hors des puits avant de servir à acheminer le charbon et de remodeler le monde. Remodelage qui continue, non sans rencontrer moult oppositions : modestes tentatives de nationalisation en Bolivie notamment, lancinant problème des mineurs clandestins, nombreuses luttes contre l’ouverture de mines, de Iérissos en Grèce à Pascua Lama au Chili, mais aussi présence dans les zones vouées à l’exploitation de la guérilla naxalite en Inde ou celle des restants narco-maoïstes du sentier lumineux au Pérou. Comme on le sait le secteur n’est certes pas allergique aux conflits, dés lors que ceux-ci facilitent l’accaparement des ressources, ce qui ne manque pas de créer d’édifiants liens de cause à effet entre consommation high-tech et massacres ethniques : « (…) la guerre resurgit au Zaïre-Congo avec l’émergence des technologies de l’information et de la communication. A cet égard le déplacement du conflit du Katanga vers le Kivu est éclairant. Il reflète les demandes mondiales d’au moins deux matériaux sollicités par cette nouvelle révolution : le tantale et le niobium-qui donnent leur nom au coltan-présents dans cette région et recherchés par les industriels et les groupes armés. » (Les minerais, belligènes par nature Apoli Bertrand Kameni). Mais désormais, le secteur ne semble plus vouloir se contenter des habituels ilots de production et de la segmentation héritée du colonialisme. Ainsi divers projets de corridors, dits couloirs de développement, traversant tout le continent africain sont à l’étude, ce qui accentuera le floutage actuel des frontières : « Les limites territoriales se diluent au profit de zones frontalières, de « pays frontières » où les régulations s’effectuent par le bas, c’est à dire par le jeu des acteurs eux-mêmes. » (Que reste-t-il des frontières africaines ? Anne Cécile Robert in Le Monde Diplomatique 12/12) Vu le pouvoir acquis par les titans du secteur, qui semblent même ne plus se soucier des taux de change ou des fluctuations du dollar, cette désétatisation comme reconfiguration post-nationale des aires d’accumulation est toute naturelle…

     

    Alors, bien crevée, vieille taupe ?

     « Souvent il semble que l’esprit s’oublie, se perde ; mais à l’intérieur, il est toujours en opposition avec lui-même. Il est progrès intérieur –comme Hamlet dit de l’esprit de son père : « Bien travaillé, vieille taupe ! »-jusqu'à ce qu’il trouve en lui-même assez de force pour soulever la croûte terrestre, qui le sépare du soleil (…) Alors l’édifice sans âme, vermoulu, s’écroule et l’esprit se montre sous la forme d’une nouvelle jeunesse » Hegel (Cours sur l’histoire de la philosophie)

     

     

    Trêve hivernale : ce blog reprendra ses publications début mars.

    Salud aux 400 000, fritz von rézin etc … 



    [1] Fiche Wikipedia sur le Platine  

    [2] Sur le sujet voir, pour les germanophones, Die Ölrente lauft aus in Wildcat n°89, qui reprend et critique les thèses du texte Midnight Oil de Midnight Notes.

    [3] « Les luttes ouvrières au sud (Corée, Thaïlande, Indonésie hier, Chine, Bangladesh, etc. aujourd’hui) viennent saper les bases de la paix sociale à crédit au nord, elle-même produite, comme défaite, à partir des limites de l’offensive prolétarienne précédente dont il s’agit aujourd’hui de solder les comptes.  La contradiction entre prolétariat et capital a, en quelque sorte, fait son tour du monde et se formule désormais globalement, au delà de la séparation classique centre/périphérie. » (Home, sweet home sur ce blog).

    [4] Nous utilisons le terme de centralisation plutôt que concentration, en se référant à la distinction que fait Aglietta dans Régulation et crises du capitalisme : « Alors que la concentration simple est dans le champ de la valeur un fait quantitatif d’accumulation inégale qui conserve l’autonomie des capitaux, la centralisation est un changement qualitatif qui remodèle l’autonomie des capitaux et établit des rapports de concurrence nouveaux. »

    [5] Voir Les géants des matières premières prospèrent au bord du lac Léman in Le Monde Diplomatique Décembre 2012

    [6] « En 2010, le gouvernement fédéral allemand a publié  sa stratégie pour les matières premières minérales et crée une agence spécialisée dans le domaine, die Deutsche Rohstoffagentur (…) Enfin début 2012, les géants de la chimie (BASF, Bayer), de l’auto (BMW, Daimler), de la sidérurgie (Thyssenkrup, Stahl) se sont réunis dans une alliance pour la sécurisation des matières premières (Rohstoff-Allianz) qui servira de centrale d’achat pour ses membres. » Le Monde 11/09


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    Des nouvelles du fond, un panorama du secteur minier international (a)

     

    Raccourci préalable : l’or, encore et toujours

     

     

     

    « L’or a été longtemps synonyme d’Afrique du Sud. Mais, comme en témoigne la décision du producteur Gold Fields de placer dans une entité séparée deux de ses gisements sud-africains, cette prééminence n’est plus de saison. (…) D’ici à 2013 la nouvelle structure baptisée « Sibanye », qui doit être cotée séparément, regroupera deux mines sud-africaines, vieilles et profondes, donc coûteuses à exploiter. L’autre entité, qui garde le nom de Gold Fields, comprendra les avoirs internationaux (au Pérou, au Ghana, en Australie), ainsi que la South Deep Gold Mine, au sud-ouest de Johannesburg. A l’instar de toutes les sociétés minières du pays, Gold Fields, numéro quatre mondial du secteur, a été récemment confrontée à des grèves sauvages à répétition d’une extrême violence à l’appui de revendications salariales et d’amélioration des conditions de travail. Les débrayages ont fait chuter le bénéfice net de l’entreprise lors du troisième trimestre de 42%.(…) L’exemple de Gold Fields sera suivi par d’autres. Harmony Anglogold Ashanti ou Amplats envisagent de réduire leur présence dans la mère patrie de l’exploitation de l’or, qui a débuté en 1886. » Marc Roche Gold Fields Good Buy ! (Le Monde 03/12)

     

    Certes le déclin de la production d’or en Afrique du sud remonte à plus loin, déclin d’ailleurs en proportion quasiment équivalent à celui de l’essor de production de platine (avec, entre 1994 et 2009, une baisse de production de 63%, contre une augmentation de 67% pour le platine où sont désormais employés 24 000 travailleurs de plus). On a là une configuration somme toute classique de « fuite » du capital quand aux rendements décroissants se conjuguent des luttes ouvrières radicales. Dans le même temps, le cours de l’or a repris sa lente ascension vers, paraît-il, à moyen terme le prix de 2000 dollars l’once contre 700 en octobre 2008 et bien moins dans les années 80 et 90. Cette nouvelle remontée s’expliquerait par la politique des banques centrales (américaine, anglaise et demain européenne) qui en faisant tourner la planche à billets préparerait un retour de l’inflation et de son grignotage des patrimoines, contre laquelle l’or est bien sûr un remède souverain. Qu’il en soit ainsi ou non, le rapport de l’or (et des luttes dans le secteur) à la politique monétaire et à la restructuration est loin d’être une question superficielle ou totalement éculée. Il y a bien sûr le serpent de mer du rétablissement de l’étalon-or, ressorti par certains républicains lors de la campagne électorale aux Etats-Unis et dans un sens inverse en France par les disciples du « national-capitalisme » à la Jacques Rueff, qui dénoncent le privilège, devenu exorbitant, accordé au dollar, base de l’« héganomalie » américaine1. Mais la démonétisation de l’or et les changes flottants, loin d’être des décisions malencontreuses ou opportunistes ont ouvert la voie à la nouvelle vague d’internationalisation en supprimant les barrières à la mobilité des capitaux et indiquaient le début de la contre-offensive du capital2. Or (sic), peu après l’adoption en 1976 des accords de la Jamaïque, qui entérinaient cette remise en ordre, une série de grèves violentes secoue le secteur aurifère sud-africain. Celles-ci menacent alors de faire remonter drastiquement un prix de l’or tombé bien bas et ainsi de mettre à mal tous les effets « restructurants » de la démonétisation, c’est à dire le nouveau pouvoir de l’intermédiation financière (spéculation accrue sur les monnaies faibles) mais aussi du FMI (Cf. Prêts au Portugal en 76, à l’Italie et au Royaume-Uni en 77) sur des Etats ne pouvant plus s’appuyer sur leurs stocks d’or dévalorisés pour gérer leurs déficits, c’est à dire « monnayer » avec leur prolétariat.

    Il faudra attendre que ce dernier soit effectivement défait et que la stabilité des prix devienne le nouveau point d’ancrage de la politique monétaire, pour qu’il n’y ait plus lieu de s’inquiéter des dangereux « effets en retour » des luttes des mineurs sud-africains. Se débarrasser de cette « relique barbare » (Keynes) qu’était la, certes principalement nominale, « marchandise-monnaie » or, c’était aussi conjurer la dépendance à un travail vivant indocile, au nord comme au sud. Mais les fantasmes de « monnaie pure », de dématérialisation totale ou du A-Á n’ont pas fini de buter sur les prosaïques besoins de thésaurisation et surtout des luttes de classe bien réelles…

     

    1 L’étalon ne se fera probablement pas « cheval de retour » comme le montre l’échange entre Ben Bernanke et un élu du congrès lors d’une audition en juillet 2011. A la question « L’or est-il une monnaie ? » le président de la réserve fédérale répond surpris « Non ». « Mais alors pourquoi les banques centrales, ont-elles des réserves d’or ? Pourquoi pas des diamants ? » « He bien répond Bernanke, c’est la tradition. » cité in U.S. election reopens the gold debate IHT 03/02 Notons aussi, qu’il y a quelques années Sarkozy, alors ministre du budget, avait envisagé de vendre purement et simplement les réserves d’or françaises.

    2 Voir Christian Marazzi Money in the World crisis : The New Basis of Capitalist Power disponible le net et dans l’ouvrage de Bonefeld et Holloway Global Capital, National State and the Politics of Money

     


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    Raccourcis autour de l’histoire du secteur minier sud-africain (d)

     

    IV De BRICS et de broc : hybridations post coloniales et post-socialistes

     

    Si la nationalisation des mines, vieux reste de ses vagues prétentions socialisantes, figurait au programme de l’ANC –ce que revendique encore aujourd’hui la fraction gauchiste de la ploutocratie représentée par Malema- la conversion aux nécessités de l’époque se fit très vite. Une anecdote l’illustre assez joliment : en 91, Mandela se rend au forum international de Davos ou il croise Li Peng, le premier ministre chinois de cette période. Lorsque la discussion en vient aux nationalisations, Li peng lui assène cette leçon de « post-socialisme » : « Je ne comprends pas pourquoi vous parlez de nationalisation. Vous n’êtes même pas un parti communiste. Je suis le leader du parti communiste chinois et je parle de privatisation. » Par la suite, Mandela ne manquait pas de rappeler cette épisode à chaque débat sur les problèmes économiques1.

    Et effectivement le nouveau gouvernement ANC ne touchera pas au Mineral Act, mis en place en 91 par le dernier gouvernement de l’apartheid pour garantir les intérêts du capital blanc et qui constituait «  le plus grand pas de l’histoire de l’Afrique du sud vers un système de propriété privée exclusive des ressources minières»2. Il accompagnera la nouvelle précarisation des emplois miniers au début des années 90 pour amortir la baisse des cours de l’or, qui s’étendra à d’autres pays africains3. Et de même, le nouveau pouvoir lancera une série de reformes structurelles, regroupées dans le programme GEAR ( Growth Employment and Redistribution), qui lui vaudra les félicitations de la Banque Mondiale et du FMI.

    Ainsi, au croisement du post-colonialisme ( qui rentre à l’époque dans une seconde phase Cf. la chute de nombreux régimes autoritaires en Asie et en Afrique) et du post-socialisme ( Chute du bloc de l’est et de ses satellites mais aussi libéralisation tout azimut en Inde, en Égypte, etc…), le post-apartheid constitua une transition tout à fait moderne vers cette hybridation nouvelle qui caractérise l’essor des fameux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). A l’accumulation primitive rampante et la coexistence de divers régimes d’exploitation (du travail servile au salariat pré-fordiste, de la plus-value absolutiste à la plus-value relative) qui supposent de maintenir de larges pans de populations dans une surpaupérisation périphérique (Townships, favelas ou les Dalits en Inde) et d’entretenir tensions ethniques, de caste ou xénophobes, correspondent les formes pour le moins tortueuses de la propriété capitaliste ( Cf. le jeu entre Etat, parti et Capital) et donc les contours mouvants de la classe dominante ( de l’entrepreneur au potentat).

    Mais, comme on le constate tous les jours, la juxtaposition des formes d’encadrement ne garantit certes pas la docilité de la main d’œuvre et l’hybridation pourrait produire des convergences d’un genre nouveau. Ainsi pour Wildcat, « La principale division de toutes les révolutions antérieures, celle entre la classe ouvrière urbaine et la paysannerie, a été dissoute. Pendant la dernière décennie, les rapports personnels d'exploitation du sol et de la vie villageoise ont été remplacés par une semi-prolétarisation massive : plus de deux milliards de personnes subissent cette situation, et dépendent à la fois du travail salarié et d'activités agricoles à petite échelle. Beaucoup (..) font périodiquement des aller-retour de la campagne à la ville, entre lesquelles la frontière est rendue de plus en plus floue par la mobilité du travail et le développement des infrastructures. Les licenciements actuels dans  les régions exportatrices d'Inde et de Chine d'une part, et la pression croissante des pauvres de la campagne attirés par la promesse d'une vie meilleure en ville d'autre part, se combinent pour produire d'énormes vagues sociales dans les deux sens. » (Wildcat 2008 cité in Sortie d’usine de Gilles Dauvé et Karl Nesic)

    Dans le cas particulier de l’Afrique du sud, la série de grèves sauvages dans la ceinture de platine, qui semble prendre fin (reprise du travail chez Amplats le jeudi 15 novembre), peut être vue comme une extension de la « révolte des pauvres » qui s’intensifie dans les townships ces dernières années ( multiplication par 4 des « incidents » ces deux dernières années) et si les quelques tentatives des travailleurs du public de rejoindre le mouvement ont échouée, la rencontre entre ces trois secteurs et d’autres ( Cf. la grève dans le secteur viticole) pourrait à l’avenir marquer une nouvelle étape...

     

    A suivre : des nouvelles du fond, un panorama du secteur minier international

     

    1 Rapporté dans State, Business and Growth in Post-apartheid South Africa Natrass/Seekings 2010 disponible sur www.ippg.org.uk

    2 Gavin Capps Victim of its own success? The platinum mining industry and the apartheid mineral property system in South Africa's political transition.

    3 « La dépermanisation a été décrite comme l’un des plus importants résultats de la privatisation de la ceinture de cuivre Zambienne où les postes permanents traditionnels ne représentaient, en 2008, que la moitié seulement des emplois par les 5 grandes compagnies minières. En 2006 prés de la moitié de la main d’œuvre de la mine de la compagnie Anglogold Ashanti’s Geita avait des contrats à durée déterminée et 3% seulement des employés permanents étaient syndiqués. » Rapport de la CNUCED sur Les ressources minérales et le développement de l’Afrique (2011)


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  • Raccourcis autour de l’histoire du secteur minier sud-africain (c)

     

    III Ethnicisation, etc.

    Dans la vieille tradition de la « Terra nullus » coloniale, les autorités de l’apartheid ont constamment cherché à faire des Africains des étrangers sur leur propre terre. Et toujours selon les vieux préceptes de la domination par l’essentialisation1, cette allogénisation fut couplée, à partir du Bantu Self gouvernement act de 59, d’une ethnicisation méticuleuse tant dans la division du travail, que dans la création des Etats tribaux (à 9 ethnies arbitrairement éternisées correspondait 9 bantoustans, dont le Bophuthatswana qui couvrait la plus grande partie de la « ceinture de platine » actuelle). Malgré quelques succès occasionnels, cette politique fut toutefois constamment mise en échec par les révoltes Noires des années 70 et 80.

    Si les bantoustans ont disparus et si les conflits ethnico-politiques de la transition ont été surmontés (les affrontements entre Inkhata et ANC ont tout de même fait 20 000 morts en dix ans), la division ethnique du travail a été en grande partie maintenue dans les mines2 et la xénophobie, dirigée désormais contre les immigrants des pays voisins, entretenue par l’ANC au pouvoir et les médias, ce qui a mené aux « pogroms » anti-zimbabwéens de mai 2008. Et, d’une pierre deux coups, certains seconds couteaux de l’ANC s’enrichissent même via la gestion des lagers pour immigrés illégaux ( ainsi la section féminine du parti qui a de nombreux intérêts financiers dans le centre de rétention de Lindela- situé sur un ancien compound minier). Quand au panafricanisme des années de luttes contre l’apartheid il n’est désormais plus que le vernis des ambitions sous-impérialistes des dirigeants sud-africains qui poussent à travers le NEPAD (Nouveau partenariat économique pour le développement de l’Afrique) à la libéralisation dans les pays avoisinants.

    Un épisode relativement burlesque résume assez bien les modalités de cette nouvelle mouture de compromis raciste : en 2008, un arrêt de la haute cour a préconisé que les chinois sud-africains soient reconnus comme Noirs selon la législation du Black Economic Empowerement, ce qui provoqua la réaction courroucée de la NAFCOC (l’association des businessmen noirs) qui fit savoir par la bouche de son président  « que le gâteau du BEE était trop petit pour être partagé ». Les « BEEple » ou « BEEllionnaires » comme on les surnomme, tiennent effectivement beaucoup à cette « discrimination positive » devenue système de cooptation kleptocratique, qui a permis de multiplier par 4 le nombre de familles possédant un patrimoine supérieur à 30 millions de dollars entre 94 et 03 (ce qui fait 690 familles pour un pays qui compte officiellement 22 millions de pauvres). Et pour préserver « l’unité noire », c’est à dire perpétuer l’interclassisme nationaliste quoi de mieux en effet que de rebâtir d’une manière ou d’une autre une barrière raciale, vieille recette appliquée par toutes les oligarchies post-coloniales : …3 

     

    1 Cf. Rappelons en passant la grande « réussite » de l’ethnologie coloniale au Rwanda : «  Les concepts intellectuels forgés par le colonialisme à partir d’une appréhension inexacte de la réalité sont ainsi devenu progressivement la « réalité » avec son cortège de ségrégation raciale, de diabolisation de l’autre et in fine, de massacres ethniques. » Article Rwanda in Mondes rebelles (96)

    2 «Lonmin a exploité ces divisions – exacerbées par la vieille stratégie de l’industrie minière de recrutement selon les divisions tribales et régionales– les « drill workers » à Lonmin sont surtout des Xhosas recrutés dans la région de l’est du Cap pour travailler dans une zone où l’on parle majoritairement Tswana » Lenny Gentle The massacre of our illusions... and the seeds of something new disponible sur Zabalaza.net.

    3 Cf. « Il n’y aura pas de lutte de classe inter-Noirs tant que la séparation raciale restera la clé de la politique de ce pays. » (De Pretoria à Liverpool in La Banquise N°4) Sur la dynamique du racisme post-colonial, on peut se reporter au chapitre Mésaventures de la conscience nationale in Les damnés de la terre de Frantz Fanon. Sur l’Afrique du Sud en particulier, voir le livre de Michael Neocosmos : From ‘Foreign Natives’ to ‘Native Foreigners’ disponible sur www.codesria.org


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