• Bien crevée, vieille taupe ? (5)

     

    Raccourcis autour de l’histoire du secteur minier sud-africain (d)

     

    IV De BRICS et de broc : hybridations post coloniales et post-socialistes

     

    Si la nationalisation des mines, vieux reste de ses vagues prétentions socialisantes, figurait au programme de l’ANC –ce que revendique encore aujourd’hui la fraction gauchiste de la ploutocratie représentée par Malema- la conversion aux nécessités de l’époque se fit très vite. Une anecdote l’illustre assez joliment : en 91, Mandela se rend au forum international de Davos ou il croise Li Peng, le premier ministre chinois de cette période. Lorsque la discussion en vient aux nationalisations, Li peng lui assène cette leçon de « post-socialisme » : « Je ne comprends pas pourquoi vous parlez de nationalisation. Vous n’êtes même pas un parti communiste. Je suis le leader du parti communiste chinois et je parle de privatisation. » Par la suite, Mandela ne manquait pas de rappeler cette épisode à chaque débat sur les problèmes économiques1.

    Et effectivement le nouveau gouvernement ANC ne touchera pas au Mineral Act, mis en place en 91 par le dernier gouvernement de l’apartheid pour garantir les intérêts du capital blanc et qui constituait «  le plus grand pas de l’histoire de l’Afrique du sud vers un système de propriété privée exclusive des ressources minières»2. Il accompagnera la nouvelle précarisation des emplois miniers au début des années 90 pour amortir la baisse des cours de l’or, qui s’étendra à d’autres pays africains3. Et de même, le nouveau pouvoir lancera une série de reformes structurelles, regroupées dans le programme GEAR ( Growth Employment and Redistribution), qui lui vaudra les félicitations de la Banque Mondiale et du FMI.

    Ainsi, au croisement du post-colonialisme ( qui rentre à l’époque dans une seconde phase Cf. la chute de nombreux régimes autoritaires en Asie et en Afrique) et du post-socialisme ( Chute du bloc de l’est et de ses satellites mais aussi libéralisation tout azimut en Inde, en Égypte, etc…), le post-apartheid constitua une transition tout à fait moderne vers cette hybridation nouvelle qui caractérise l’essor des fameux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). A l’accumulation primitive rampante et la coexistence de divers régimes d’exploitation (du travail servile au salariat pré-fordiste, de la plus-value absolutiste à la plus-value relative) qui supposent de maintenir de larges pans de populations dans une surpaupérisation périphérique (Townships, favelas ou les Dalits en Inde) et d’entretenir tensions ethniques, de caste ou xénophobes, correspondent les formes pour le moins tortueuses de la propriété capitaliste ( Cf. le jeu entre Etat, parti et Capital) et donc les contours mouvants de la classe dominante ( de l’entrepreneur au potentat).

    Mais, comme on le constate tous les jours, la juxtaposition des formes d’encadrement ne garantit certes pas la docilité de la main d’œuvre et l’hybridation pourrait produire des convergences d’un genre nouveau. Ainsi pour Wildcat, « La principale division de toutes les révolutions antérieures, celle entre la classe ouvrière urbaine et la paysannerie, a été dissoute. Pendant la dernière décennie, les rapports personnels d'exploitation du sol et de la vie villageoise ont été remplacés par une semi-prolétarisation massive : plus de deux milliards de personnes subissent cette situation, et dépendent à la fois du travail salarié et d'activités agricoles à petite échelle. Beaucoup (..) font périodiquement des aller-retour de la campagne à la ville, entre lesquelles la frontière est rendue de plus en plus floue par la mobilité du travail et le développement des infrastructures. Les licenciements actuels dans  les régions exportatrices d'Inde et de Chine d'une part, et la pression croissante des pauvres de la campagne attirés par la promesse d'une vie meilleure en ville d'autre part, se combinent pour produire d'énormes vagues sociales dans les deux sens. » (Wildcat 2008 cité in Sortie d’usine de Gilles Dauvé et Karl Nesic)

    Dans le cas particulier de l’Afrique du sud, la série de grèves sauvages dans la ceinture de platine, qui semble prendre fin (reprise du travail chez Amplats le jeudi 15 novembre), peut être vue comme une extension de la « révolte des pauvres » qui s’intensifie dans les townships ces dernières années ( multiplication par 4 des « incidents » ces deux dernières années) et si les quelques tentatives des travailleurs du public de rejoindre le mouvement ont échouée, la rencontre entre ces trois secteurs et d’autres ( Cf. la grève dans le secteur viticole) pourrait à l’avenir marquer une nouvelle étape...

     

    A suivre : des nouvelles du fond, un panorama du secteur minier international

     

    1 Rapporté dans State, Business and Growth in Post-apartheid South Africa Natrass/Seekings 2010 disponible sur www.ippg.org.uk

    2 Gavin Capps Victim of its own success? The platinum mining industry and the apartheid mineral property system in South Africa's political transition.

    3 « La dépermanisation a été décrite comme l’un des plus importants résultats de la privatisation de la ceinture de cuivre Zambienne où les postes permanents traditionnels ne représentaient, en 2008, que la moitié seulement des emplois par les 5 grandes compagnies minières. En 2006 prés de la moitié de la main d’œuvre de la mine de la compagnie Anglogold Ashanti’s Geita avait des contrats à durée déterminée et 3% seulement des employés permanents étaient syndiqués. » Rapport de la CNUCED sur Les ressources minérales et le développement de l’Afrique (2011)


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