• « L’instrument qu’ont les ouvriers pour enrayer cette exploitation par les patrons, c’est le refus du salaire comme compensation de la quantité et de la qualité du travail. C’est le refus du lien qu’il y a entre le salaire et la production. C’est la revendication d’un salaire établi non pas par les patrons en fonction de la production, mais en fonction des besoins matériels des ouvriers. » Nanni BalestriniNous voulons tout

    Comme le résume bien ce passage, l’offensive des années 60-70 avait mis en crise le cœur du compromis fordiste, le soi-disant « partage des gains de productivité » (en réalité une indexation relative des salaires ). On sait que la restructuration est en train de finir de réaliser, mais dans un sens inverse, cette désindexation demandée par les ouvriers de Fiat : Aux Etats-Unis, selon une étude du bureau des statistiques du travail, la productivité a augmenté de 25% en 10 ans tandis que le revenu réel des salariés a baissé de 5%.

    C’est bien évidemment un résultat de l’extension à de plus en plus de secteurs de la production « juste à temps », importation et hybridation « vers le bas » du modèle Toyota. Toutefois, la production de masse flexible rencontre ces dernières années un certains nombres de limites : structurelle ( la vulnérabilité des flux tendus aux moindres aléas climatiques et surtout sociaux), techniques ( la « démarche qualité » prise en défaut Cf. Rappel par Toyota de centaines de milliers de voitures ces deux dernières années) ou physiologiques ( la chasse aux « gestes inutiles » et le « one best way » finit en TMS –troubles musculo-squelettiques- qui ont été multipliés par 13 depuis 10 ans en france, faisant perdre 25 millions de journées de travail).

    L’énième pressurisation qui s’annonce ( hausse de la productivité, suppression d’effectifs et baisse des salaires) en rajoutera certes dans l’inflexibilité (voir Le No-deal sur ce blog), mais on peut se demander si la coopération productive obtenue autoritairement pourra tendre beaucoup plus «l’élasticité humaine » (Marx) : « Le moyen de travail est dès lors un perpetuum mobile industriel qui produirait infiniment, s’il ne rencontrait une barrière naturelle dans ses auxiliaires humains, dans la faiblesse de leurs corps et la force de leur volonté. » (Le Capital Chap XV).

    La « méta-taylorisation » du travail s’est bien sûr aussi transférée dans la vie sociale : la vitesse devenant mesure d’à peu près tout. Au delà des dénonciations convenues de la « dictature de l’urgence », il est intéressant de noter que la consommation, s’appuyant de plus en plus sur des biens chronophages (téléphonie, internet), dans le sens où ils font perdre du temps sous prétexte d’en gagner (Cf. les promesses non tenues de l’automobile), alimente la lancinante impression que les loisirs « travaillent ». De même, chez les employés et les cadres, individualisation et mirage carriériste impliquent en plus une harassante élévation des normes de « reproductivité » (la multiplication d’activités d’entretien « de soi »).

    Bref, travail et temps abstraits tendent à se concrétiser en épuisement cognitif et physique. Et l’usure mettant fin aux illusions du partage ( du progrés technique et de son « expropriation » révolutionnaire), la mobilisation générale sous l’égide «du sang, de la sueur et des larmes » pourrait bien trouver là une nouvelle « barrière naturelle ».

     

    Post scriptum : Si, classiquement on pouvait dire que « la productivité dépend très souvent de la capacité de l’entreprise à utiliser le jeu des normes sociales qui s’établissent dans les collectifs de travail- à faire jouer les salariés à son profit. »

    ( Thomas Coutrot L’organisation du travail) Il s’agit dans le système actuel de jouer les uns contre les autres (jeunes/vieux, CDI/CDD, techniciens/opérateurs, etc.) tout en déplaçant « la figure » de l’autorité vers l’extérieur de l’entreprise ( par la commande par l’aval, c’est à dire la pression du client), le procédé technique (« le flic est dans le flux » J.P Durand) ou la situation comptable («  La violence de la situation qui est faite aux salariés semble devoir être mise en parallèle avec la vulnérabilité structurelle de l’entreprise (…) Tout se passe comme si l’on reportait la fragilité structurelle de l’entreprise sur les ouvriers eux-mêmes afin de les culpabiliser. » Beaud et Pialoux Violences urbaines, violences sociales).

    Que ce modèle de management se soit « sécularisé » en politique dans un « diviser pour mieux regner à souveraineté limitée » ( Cf. Sarkozy, les Roms et les marchés), résume assez bien la cohérence relative du « tournant despotico-démocratique » en cours.  


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    « La restructuration a été réalisée ; un nouveau modèle d’accumulation a été établi, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, la restructuration est maintenue comme dynamique et s’intensifie à travers la crise interne de cette période. » (Blaumachen annexe au texte Le temps des émeutes disponible sur dndf.org)

    La crise actuelle nous semble plutôt être celle de l’inachèvement de la restructuration (voir La crise ! Quelle crise ? sur ce blog). Le rétablissement du rapport de force n’a pas débouché sur un nouveau modèle (on ne bâtit pas une cohérence uniquement sur des « disjonctions »*) et le capital ayant, d’une certaine manière, épuisé le filon du retournement de l’offensive prolétarienne précédente, la contre-révolution bute donc ,dans les métropoles, sur l’entre-deux qui lui servait de point d’équilibre : le post-fordisme a fait son temps. Dans ce sens c’est effectivement une nouvelle phase qui s’ouvre à travers l’emballement de l’austérité (produite, rappelons-le, par la transformation stratégique de cette « crise de la crise » en crise des dettes souveraines).

    Ce nouveau seuil de la restructuration, qu’on l’envisage à court (intensification de l’exploitation, attaque contre le non travail), moyen(paupérisation et rapatriement relatif du capital) ou long terme ( Vers un nouveau mode de subordination ?), redéploie la lutte de classe sur une échelle nouvelle. Réintroduire de la plus-value absolue en achevant le renversement de l’indexation des salaires sur la productivité ( Pour cette crapule de Blanchard, économiste au FMI, les pays européens doivent « (…) améliorer considérablement leur productivité, ou baisser leurs salaires, ou les deux. » Le Monde avril 2011), modifier définitivement la norme d’achat de la force de travail («Il faut en finir avec le dualisme entre les contrats à durée indéterminée et déterminée. » Blanchard ibid.) et y adapter les dispositifs de reproduction sociale : chaque moment de ce premier processus augure d’une confrontation que le chantage aux marchés ou autres ne suffira plus à neutraliser. Le tournant « déspotiquo-démocratique » devrait donc se confirmer, ce qui parachèvera le délitement de l’encadrement classique (politique et syndical). Sortir de la crise supposera ensuite, pour le capital,de rétablir l’unité entre production et circulation, doublement mise à mal par la financiarisation et l’épuisement d’un cycle de globalisation, ce qui induira une forme de convergence nord/sud, icompris, dans les luttes . Enfin, il n’y aura pas de véritable rétablissement de l’accumulation sans nouveau mode de subordination, ce qui pose la question de la « force vivante » que peut encore pomper le capital : savoir et insubordination ouvrière asséchés, société transformée en usine totale : il y a t-il encore des recoins nouvellement valorisables dans l’interdépendance triomphante ?

    (La suite bientôt)

     

    : Ce n’est bien évidemment pas le « lieu » ici pour critiquer l’ensemble des thèses de Théorie communiste sur le sujet ( voir La restructuration telle qu’en elle-même in TC n°22). Nous nous contentons donc de préciser que définir la période comme celle de la restructuration du « capital restructuré » permet peut-être un joli paradoxe mais tend à prendre la réalité à rebours.


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  • occupation, linogravure


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  • Nous avons déjà beaucoup parlé de « fuite du capital », voilà donc quelques sommaires précisions sur le sujet.

    Si la critique du salariat et de la marchandise fut massive et diffuse dans les années 60-70, elle n’a presque jamais convergée jusqu'à un seuil qualitativement supérieur de sécession avec le vieux monde : cette aporie de l’offensive prolétarienne contre la subordination réelle, dans et en dehors du travail, fut donc une sorte de fuite inachevée, a la fois dans le non dépassement des syndicats et la multiplication de fuites « feintes » : fuite en avant militaro ( notamment en Italie), fuites de l’alternative ( hippies) ou de l’identitarisme régionaliste ou sexuel. C’est en partant de cette limite d’une révolte largement démissionnaire (cf. l’absentéisme dans les occupations de Mai-juin 68) que le capital put reprendre l’avantage…en fuyant.

    Dans la brochure Aux Origines de l’ « antitravail »( Publiée par Echanges ( BP241 75866 Paris cedex 18 ) en décembre 2005 )  Bruno Astarian note : « Michael J. Kapsa identifie l’année 1975 comme celle où la vague de protestation des OS américains s’inverse et commence à refluer. D’un coté, les patrons cessent d’investir dans les usines existantes. Le capital « fait grève et fuit ». « La mobilité du capital, qu’elle soit effective ou simplement menacée, devint un instrument pour modifier les fondations de la  relation capital-travail ». Ainsi General Motors, face à la rébellion persistante de ses ouvriers, décide d’ouvrir de nouvelles usines dans le Sud rural des Etats-Unis puis au Canada mais semble rattrapé par les mêmes problèmes (Le syndicat United Automobil Workers, obtient l’extension des conventions collectives au usines du sud et fusionne avec son homologue canadien CAW). C’est donc surtout à partir des années 90 et grâce notamment à la crise de la dette du Tiers-monde au début des années 80, qui met fin aux expropriations de multinationales qui avaient atteints leur pic en 75, que la mobilité du capital devient mondiale. Et ce principalement dans les secteurs a main d’œuvre peu qualifiée là ou il y avait justement le plus de combativité (le nombre d’OS dans l’industrie française a baissé de 38% en 30 ans).

    La fuite du capital est la conclusion de l’offensive du prolétariat tirée à sa place et le moyen perpétuellement réutilisé, le fameux chantage à la délocalisation, d’approfondir son avantage dans le rapport de force.


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  • Paradoxe inhérent au capital : lui qui met tout en mouvement ( les hommes, les machines, les marchandises, les codes sociaux, etc..) doit se garantir dans le même temps la disponibilité et la docilité de la force de travail. La destruction de la société paysanne, véritable acte fondateur, avec ses chronologies différentes selon les pays (Cf. Rance des années 50 ou tout le prolétariat flottant actuellement en Chine), suppose de plus que cette prolétarisation s’accomplisse comme disciplinarisation.

    Les phases dans la grande fixation de la force de travail en Occident sont bien connues : c’est l’exemple classique de l’Angleterre. D’abord l’accumulation primitive, les enclosures au XVeme siècle : clôture des champs ouverts et conversion des terres arables en pâturages, donc expulsion des paysans, mais « La création d’un prolétariat sans feu ni lieu –licenciés des grands seigneurs féodaux et cultivateurs victimes d’expropriations violentes et répétées- allait nécessairement plus vite que son absorption par les manufactures naissantes. D’autre part ces hommes brusquement arrachés à leurs conditions de vie habituelles ne pouvaient se faire aussi subitement à la discipline du nouvel ordre social. Il en sortit donc une masse de mendiants, de voleurs, de vagabonds. De là vers la fin du XV eme et pendant tout le XVI eme une législation sanguinaire contre le vagabondage. » (Marx Le Capital).  Déjà l’Etat  joue un rôle central dans l’organisation du futur marché du travail : le parlement adopte les « poor laws » qui répondent à la dislocation catastrophique du monde rural et décrètent l’obligation domiciliaire. Elles seront réformés en 1795, par la loi de Speenhamland qui instaure les « poor rates », sorte de revenu minimum : « (..) l’extension du système de Speenhamland et des systèmes de « distribution » sous toutes les formes s’explique par la pression des gros fermiers-dans un secteur qui a particulièrement besoin d’une main d’œuvre occasionnelle ou intermittante-soucieux de disposer d’une réserve de main d’œuvre permanente à bon marché. » (E.P. Thompson). Il y a à l’époque opposition entre la petite noblesse des campagnes et la bourgeoisie des villes sur le contrôle de la main d’œuvre, les poor rates gênant le développement d’un salariat moderne. Finalement Speenhamland est abolie en 1834, lorsque la bourgeoisie accède réellement au pouvoir politique, afin de permettre l’émigration de la force de travail vers les nouvelles manufactures. Enfin vers 1870, c’est la reconnaissance des premiers syndicats : leur existence suppose et permet une sédentarisation de la nouvelle classe ouvrière.

    La seconde phase c’est la grande fixation fordiste aux USA pour lutter contre la malédiction du Turn-over. La forte immigration européenne fournit à l’époque un prolétariat idéal : sans culture de  métier ni lien avec la vie campagnarde, bref sans autonomie possible. Mais, au tournant du Xxeme siècle, les résistances ouvrières commencent à freiner le développement du capital ce qui donne lieu à une double contre-offensive : d’abord le taylorisme qui avec le chronométrage veut briser la maîtrise ouvrière sur les temps de production puis le fordisme qui, avec la chaîne, subordonne complètement le travail vivant au travail mort. Le plus grand ennemi de Ford ce ne sont pas les syndicats, mais le turn-over, la fuite des ouvriers dès lors que les conditions de travail ne leur plaisent pas. D’ou la mise en place du 5 $/ day (Accompagné de contrôles tatillons de la moralité). Après les grandes grèves « sur le tas » des années 30 puis 40, Sloan à General Motors, va dépasser Ford en reconnaissant les syndicats et en les associant marginalement à l’organisation du travail. Hauts salaires, consommation de masse, syndicalisation, puis fonds de pensions voire intéressement et du côté de l’Etat, assurance chômage et sécurité sociale : la deuxième étape de la grande fixation est accomplie.

    Cette dynamique de confrontation entre les classes (le capital doit sédentariser les populations qu’il a mis en mouvement) détermine les évolutions ultérieures jusqu'à aujourd’hui (le capital doit mettre en mouvement une société sédentarisée dans un certain garantisme social CF la « réforme » et  les discours des journaflics sur les «blocages du marché du travail », « les freins à la croissance, etc.…). La fixation de la force de travail, mise en crise par l’insubordination ouvrière, est devenue un obstacle dont le dépassement, la fuite du capital, crée la dynamique d’internationalisation.

     


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