• Raccourcis et digressions autour de l’histoire du secteur minier sud-africain (b)1


    I Le compromis raciste et sa suite

    L’exploitation des Noirs et ses modalités a été l’enjeu d’un long conflit entre anglais et afrikaners, qui a fini par déboucher sur le compromis raciste de l’apartheid. Après la guerre des boers2, l’autre grande étape de cet affrontement et de sa résolution, fut l’insurrection des mineurs blancs du Rand en 1922 à l’annonce par la chambre des mines de la suspension de la « colour bar » ; le soulèvement, soutenu par le PC et mené au cri de « Ouvriers du monde unissez-vous pour une Afrique du sud blanche » fut écrasé par l’armé. Mais peu après, l’arrivée au pouvoir des nationalistes permettra de rétablir l’interdiction d’accès au travail qualifié pour les Noirs et l’industrial Coalition Act les privera de tout droit à se syndicaliser. Les bases principales de l’apartheid étaient posées, même s’il ne sera officiellement proclamé qu’en 48, en réponse à de grandes grèves dans les mines deux ans auparavant. C’est donc en luttant sur plusieurs fronts (contre les travailleurs mais aussi contre les fermiers blancs) que la bourgeoisie anglaise et notamment les patrons des groupes miniers en sont venus à cette intégration des Noirs dans le salariat par la ségrégation.

    A ce compromis raciste en a succédé un autre entre les dirigeants de l’ANC et leurs alliés et la bourgeoisie blanche, qui a permis aux premiers via le Black Economic Empowerement (BEE, nous y reviendrons) de devenir actionnaires des mines (une loi de 2003 prévoit que pour que les groupes gardent leurs concessions, la part de l’actionnariat Noir devra se monter à 26% en 2014) Cette nouvelle alliance a naturellement concerné aussi le syndicalisme : la NUM, qui ne représente désormais plus que les employés permanents, surtout les cols blancs, et dont le fonds de pension investit dans de très nombreux secteurs, s’est convertie au « labour capitalism », dit aussi « Business unionism »3 

    Les récents événements de Rustenburg montre que la fameuse trinité – ANC/SACP/COSATU- n’est plus en mesure de contrôler les luttes comme jadis, la répression menée par la NUM et les dénonciations précipitées du parti communiste ayant visiblement fini de les faire identifier comme des ennemis par les mineurs. Comme l’ont aussi montré les luttes croissantes dans les townships ces dernières années c’est bien toute une phase du post-apartheid qui prend fin, celle où la nouvelle bourgeoisie Noire pouvait encore faire « passer ses intérêts pour ceux de toute la société ».

     

    Digression

    Les luttes constantes de la classe ouvrière blanche pour défendre la « colour bar » et empêcher les Noirs de se syndicaliser ( Cf. la scission du syndicat de mineurs blancs en 79 lorsque la confédération syndicale nationale a commencé à reconnaître le droit des Noirs à s’organiser) tenaient bien sûr au background historique de la colonisation: « ( …) cette idéologie de l’abaissement systématique des Noirs qui trouva rapidement sa sanction juridique, progressait en raison directe de la prolétarisation effective des blancs, qui ruinés, quittèrent la région dans les années qui suivirent ou s’engagèrent comme travailleurs qualifiés dans des grandes compagnies minières. Comme si la barrière raciale (pas seulement psychologique puisqu’elle devint rapidement une réalité juridique) constituait la compensation du déclassement du travail dépendant blanc. » (Moulier-Boutang De l’esclavage au salariat) Mais au-delà de ces spécificités, la « peur » du travail qualifié de perdre ses attributs, d’être réduit à du travail simple est une constante sous toutes les latitudes. Il serait bien sûr extrêmement hasardeux d’en tirer un lien de cause à effet avec le racisme, quoiqu’en prenant un spectre très large (des employés allemands de l’entre-deux guerre- Cf. Kracauer- à certains groupes ouvriers aujourd’hui en France) le protectionnisme plus ou moins symbolique tend constamment à ériger en concurrence l’échelon du dessous, ce qui suppose des modes de différenciations dont la xénophobie peut être une variante. Banalités sociologiques mises à part, cette question du rapport entre travail simple et travail qualifié sera ici aussi un des enjeux de la période qui s’ouvre. (« La restructuration, en reléguant une partie de la force de travail dans les zones grises de l’économie informelle (les lascars, les sans-papiers) et de l’inactivité en sursis (Workfare, Etat pénal) et en dérobant peu à peu le sol sous les pieds de la traditionnelle classe de l’encadrement (réduction drastique du fonctionnariat, baisse tendancielle de la valeur d’échange des diplômes)  crée les conditions d’une convergence de ces obsolètes qui n’ont plus grand chose à négocier. » Quand le silence s’ébruite sur ce blog)

     

    II Le « cheap labour system »

    Selon l’analyse classique, l’apartheid était avant tout une forme d’organisation de l’exploitation basée sur le travail migrant venu des campagnes maintenu dans une semi-prolétarisation à travers notamment le système des « pass » (passeport intérieur). Cette semi-prolétarisation garantissant aux groupes miniers l’accès à une main d’œuvre abondante et bon marché. L’acte fondateur fut le Glen grey Act de 1894 qui imposait aux petits paysans Noirs le paiement d’une taxe alors même qu’ils vivaient hors de l’économie monétaire et ce pour les forcer à aller vendre leur force de travail dans les mines. Comme le disait le promoteur de cette loi, Cecil Rhodes patron du groupe minier De Beers reconverti dans la politique : « Chaque homme Noir ne peut pas avoir 3 acres et une vache (…) il faut leur faire entrer dans la tête qu’a l’avenir les 9/10eme d’entre-eux devront gagner leur vie par le travail quotidien. »

    A ce Glen grey Act succédera le Native Land Act (1913) qui « réserva un maximum de 9 millions d’hectares (soit 7% des terres de l’union) aux 66% d’Africains qui composaient la population du pays. La propriété tribale était autorisée à se développer, en revanche toute propriété individuelle des terres de ces réserves se trouvait invalidée. C’était la base de ce que l’on a pu caractériser ironiquement comme la défense du communisme primitif par le capitalisme. » (Moulier-Boutang Ibid) Comme le montre toute la suite de l’histoire de l’apartheid, le  « cheap labour system » dût constamment être réinventé pour faire face à la combativité exceptionnelle des mineurs Noirs et aux échappements réguliers tant vers la campagne que vers les villes.

    S’il n’y a bien sûr pas de continuité simple entre ce « cheap labour system » et la situation actuelle dans les mines, le développement depuis les années 90 du travail « intérimaire » ( 41% chez Anglo-paltinum, 30% à Marikana), le recours à l’immigration des pays voisins ( le secteur minier bénéficie d’une dérogation alors que la politique d’immigration du gouvernement ANC est extrêmement restrictive), la persistance des allers-retours mines/campagnes pour de nombreux mineurs et le dualisme maintenu entre travailleurs « à statut » syndiqués et les autres montrent que le post-apartheid n’a pas fondamentalement modifié la donne. Ce qui est en train de la changer c’est la vague ininterrompue de grèves sauvages dans la « platinum belt » ces dernières années avec une radicalisation cumulative des actions (occupation du fond, blocage des routes menant aux mines) qui tendent à rendre obsolètes les vieilles méthodes de répression patronale (ainsi l’annulation des licenciements en masse à Marikana et chez Implats).

     

    Digression 

    La semi-prolétarisation, au sens large, est commune a de nombreux pays anciennement colonisés, avec des modalités différentes selon qu’elle ait par exemple été déterminée par un compromis entre oligarchie terrienne et autorités coloniales puis bourgeoisie urbaine ou qu’elle corresponde à la politique plus ou moins brouillonne d’un Etat tentant de réguler les mouvements de population (Pour une synthèse sur le sujet voir Wallerstein Le capitalisme historique). Ce qu’on oublie souvent de signaler c’est que loin d’être toujours une garantie de la docilité de la main d’œuvre, elle est peut aussi être un vecteur de forte combativité. Ainsi en Inde : « A Bombay les connexions avec le monde rural renforçaient la capacité de pression des travailleurs. Les bases rurales permettaient aux travailleurs de prolonger leur grève dans les zones urbaines. (...) Les liens avec la campagne n’étaient pas un obstacle au développement des luttes des travailleurs urbains. Au contraire ces liens permettaient aux ouvriers de Calcutta d’intensifier leur résistance contre le patronat.” (Subho Basu Does class matter ?)

    De même, contrairement à ce que pourrait laisser croire une certaine historiographie ouvrière, du maçon creusois de 1848 à l’OS de Fiat arrivé du Mezzogiorno en 1977, les « tout juste déracinés » ont toujours été en première ligne dans les luttes radicales du XIX eme et du XX eme. Moins naturellement disciplinés, encore intimement liés à un mode de vie différent (ayant parfois accès à une production vivrière de leur région d’origine), pouvant donc tout bêtement envisager autre chose, ils n’étaient et ne sont encore aujourd’hui dans le monde (Chine, Bangladesh, etc..) que très difficilement assimilables. Ce potentiel révolutionnaire que recèle le déracinement est d’ailleurs présent en filigrane dans toute la ‘politique de l’immigration’ depuis un siècle, c’est à dire là ou exploitation et flicage ne constituent plus qu’un seul et même terme.

     

     

    A suivre : III Ethnicisation,

    IV Hybridations post-coloniales

    1 On trouvera un tableau général de la situation de ces dernières années dans le dernier numéro (septembre) de Dans le Monde une classe en lutte (mondialisme.org)

    2 « Le but des deux concurrents était le même : ils voulaient asservir, chasser, exterminer les indigènes, détruire leur organisation sociale, s’approprier leurs terres et les contraindre au travail forcé pour les exploiter. Seules les méthodes étaient différentes. Les Boers préconisaient l’esclavage périmé comme fondement d’une économie naturelle patriarcale, la bourgeoisie anglaise voulait introduire une exploitation moderne du pays et des indigènes sur une grande échelle. » (Rosa Luxembourg L’accumulation du capital Tome II)

    Si le parallèle avec la guerre de sécession a souvent été fait, on pourrait aussi l’étendre à la ségrégation marquée notamment par le refus en 1919 de l’AFL de syndiquer les noirs, une seule organisation faisant exception, la UMW…le syndicat des mineurs.

    3 O. Iheduru « Social concertation, Labour unions and the creation of a Black Bourgeoisie”


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    Remarques et digressions autour de l’histoire du secteur minier sud-africain (a)

     

     

     

    Début 85, alors que la grève des mineurs anglais s’éteint progressivement, en Afrique du Sud, « Pour briser le syndicat réclamant une hausse des salaires, un groupe minier licencie 13 000 mineurs noirs sur 40 000 (…) Une société produisant 35% du platine occidental et menaçant de renvoyer 10 000 ouvriers Noirs, affirme qu’il suffit de deux semaines pour former un mineur et qu’elle n’a qu’a puiser dans le vivier des 400 000 chômeurs de la région, dont la moitié ont une formation de mineur. » (De Pretoria à Liverpool in La Banquise N°4/86) Rien de nouveau sous le soleil, comme on le voit avec les récentes menaces faites aux grévistes de Lonmin, d’Implats ou de Gold fields. Mais, comme le fait remarquer le directeur de la Bench Mark Fondation, à propos de ces ultimatums des grands groupes d’extraction de platine : « Ils ont besoin de notre pays, puisque nous avons 90% des réserves mondiales. Où voulez-vous qu’ils aillent ? » Le lancinant problème du secteur minier sud-africain depuis ses débuts n’est toutefois pas celui du contrôle des ressources, sur ce point, mises a part les concessions inévitables à la nouvelle ploutocratie Noire, le post-apartheid n’a rien changé, au contraire. C’est le contrôle de la main d’œuvre, fuyante puis très combative qui est depuis le début la principale préoccupation des groupes miniers.

     

    Ces licenciements en masse sont ainsi un des avatars de la politique perpétuelle de substitution qui caractérise l’histoire du secteur. Substitution de capital au travail, bien sûr ( Ainsi dans les mines d’or, où pour produire 10 Kg d’or, il fallait dix hommes en 1950 et plus que 5 en 75) mais surtout substitution des populations mises au travail, et ce dès l’orée de l’extraction : « Peu après la guerre des Boers, les propriétaires des mines durent importer 60 000 chinois qu’ils purent ensuite rapatrier quand l’appauvrissement massif des petits paysans afrikaners jeta sur le marché un grand nombre d’entre-eux. Les compagnies purent ainsi réduire le salaire des travailleurs britanniques et leur demander plus de travail pour moins d’argent (…) Quand ces derniers se mirent en grève, les propriétaires purent continuer l’exploitation avec l’aide de jaunes recrutés surtout parmi les Afrikaners. Les mineurs britanniques furent vaincus, des centaines furent renvoyés et remplacés par des mineurs afrikaners avec des salaires misérables. Quelques années plus tard les afrikaners allaient être victimes à leur tour du même scénario quand les Noirs envahirent le marché du travail.» (Salauds de blancs in Os Cangaceiros N°3 /87)

     

    Et c’est à partir des mines que s’inventera l’apartheid, avec notamment deux mesures fondatrices : la « colour bar » (1911) qui interdit l’accès aux postes qualifiés aux travailleurs Noirs et le « Native land act » (1913), qui restreint l’accès à la terre.

     

    Si « Claude Meillassoux a cru y déceler le modèle par excellence de la migration de travail séparant rigidement la consommation de la prestation de travail dépendant salarié de sa reproduction et recréant en permanence les conditions de son exogenéité. » (Yann Moulier Boutang De l’esclavage au salariat[1]) De Compound

     

    (campements-prisons de mineurs à proximité des puits) en Bantoustan (Etats tribaux formellement indépendants crées pendant l’apartheid pour contrôler les flux de main d’œuvre), en passant par les diverses mesures ségrégatives (passeport intérieur, interdiction des syndicats), toute l’histoire institutionnelle qui accompagne le développement du secteur raconte surtout la difficulté constante à fixer puis discipliner ces mineurs. Et désormais, le maintien de la misère Noire dans les Townships, le recours massif à l’immigration et l’intégration des syndicats (Ainsi la NUM, qui est à la tête d’un gigantesque fonds de pension, la Mineworkers Investment Company), ne suffisent visiblement plus non plus à garantir la paix sociale dans sa variante « arc en ciel ».

     

     

     

    Digression : la dynamique de l’obstacle

     

     

     

    Le passage du féodalisme au capitalisme est le passage d’une domination fondée sur l’appartenance spatiale à une domination fondée sur le contrôle du temps.

     

    L’évolution des « tactiques punitives »,  du bannissement (chez les grecs) au marquage (Moyen-Âge) puis à l’enfermement (a partir de la fin du XVIIIeme) recoupe cette mutation. Plus largement, c’est une nouvelle territorialité qui émerge avec la subordination de la campagne à la ville, la densification des échanges marchands, la découverte des énergies fossiles et les besoins exponentiels en matières premières, etc.  L’exploitation extensive et intensive des terres et des ressources balaie les très anciennes logiques de subsistance (« Ce qui s’est brisé avec le XVIIIe, en Chine comme en Europe, c’est un ancien régime biologique, ensemble de contraintes, d’obstacles, de structures, de rapports, de jeux numériques qui jusque là avaient été la norme. » Braudel) et remodèle le monde aux canons de la valorisation.

     

    Bien évidemment cette expansion crée constamment toutes sortes d’obstacles. Mais le capitalisme, régime du renversement et de la contradiction, a justement besoin d’obstacles pour avancer[2] : que ce soient les distances (importance de la vitesse comme « anéantissement de l’espace par le temps » Marx), les conditions naturelles (« Ainsi, chaque fois que la technique [nous laissons a Ellul ses catégories] s’est heurté à l’obstacle naturel, elle tend à le tourner, soit en remplaçant l’organisme vivant par la machine, soit en modifiant cet organisme de façon qu’il ne présente plus de réaction spécifique. » Ellul), les coutumes et les mœurs ou tout bonnement les populations[3]. C’est ce qu’illustre notamment les luttes actuelles d’une certain nombre de communautés en Inde (contre les projets industriels pharaoniques de TATA), en Amérique du sud ( Lutte contre la mine de Pacua Lama au Chili, contre la construction d’une route au cœur de l’Amazonie en Bolivie, etc, etc.) ou en Chine, en quelque sorte des luttes contre cette autre prolétarisation : « L’habitant de la forêt primitive est aussi le propriétaire d’icelle, et il en use à son égard aussi librement que l’orang-outan lui-même. Ce n’est donc pas un prolétaire. Il faudrait pour cela qu’au lieu d’exploiter la forêt, il fut exploité par elle. » (Le Capital).

     

    Mais, comme le montre toute l’histoire de l’industrie moderne, cette dynamique de l’obstacle ne concerne pas uniquement les « formations sociales pré-capitalistes » : « Ce que le chronomètre [taylorien] entend briser en attaquant la confrérie des « compagnons », c’est la figure la plus haute et la plus avancée de la résistance ouvrière, condition de la première industrialisation, mais aussi obstacle principal à l’accumulation du capital sur grande échelle. Car l’ouvrier de métier, appuyé sur l’efficacité de son syndicat, parvient à « marchander » de hauts tarifs et impose, avec la manière de faire qui est la sienne, son rythme propre à la production de marchandises. En substituant à l’ouvrier de métier, l’ouvrier-masse, à peine immigré, non qualifié et surtout non organisé, le capital modifie en sa faveur, et pour longtemps, l’état d’ensemble du rapport des classes. » (Benjamin Coriat L’atelier et le chronomètre)

     

    On pourrait dire du secteur minier international qu’il est à sa manière emblématique de cette dynamique de l’obstacle et ce à l’amont ( se débarrasser des autochtones pour avoir accès aux ressources) et l’aval (une fois rivé aux ressources, le voilà confronté à la turbulence du travail vivant).

     



     

    [1] Souligné par nous. Cf. aussi : « L’Afrique du Sud, déjà largement engagée dans la voie de l’apartheid, ne représente pas l’anomalie incompréhensible, la honteuse exception, mais la propédeutique indispensable pour comprendre la norme qui allait régir les migrations internationales du travail et continue largement à le faire. » (Ibid) .Quoiqu’on pense par ailleurs de l’auteur, on trouvera beaucoup d’éléments utiles dans cet ouvrage.

     
     
     

    [2]Au fait, « La circulation du capital est réalisatrice de valeur, comme le travail vivant est créateur de valeur. Le temps de circulation n’est qu’un obstacle à cette réalisation de valeur et, dans cette mesure, il est un obstacle pour la création de valeur ; obstacle qui ne provient pas de la production tout court mais qui est spécifique de la production du capital et dont la suppression – ou le combat avec cet obstacle- fait donc partie aussi du développement spécifiquement économique du capital et donne l’impulsion au développement de ses formes dans le crédit. » (Marx Grundrisse)

     
     
     

    [3] « Le capitalisme conclut à a nécessité de s’emparer par la force des moyens de production les plus importants des pays coloniaux. Mais les liens traditionnels primitifs des indigènes constituent le rempart le plus puissant de leur organisation sociale et la base de leurs conditions matérielles d’existence ; le capital se donne donc pour première tâche la destruction systématique et l’anéantissement des structures sociales non capitalistes auxquelles il se heurte dans son expansion. Si le capitalisme vit des formations et des structures non capitalistes, il vit plus précisément de la ruine de ces structures (…) L’accumulation du capital a pour condition vitale la dissolution progressive et continue des formations précapitalistes » (Rosa Luxembourg  L’accumulation du capital)

     
     


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  • 45 morts lors d’une grève sauvage dans les mines les plus dangereuses du pays le plus inégalitaire et le plus violent (hors conflit-sic !-) du monde, « business as usual» dira-t-on, tout comme les coups de grisou qui se produisent encore régulièrement en Chine ou en Russie, lointains et inévitables « revival » de la préhistoire carbonifère d’un capitalisme voué à moyen terme à l’immaculé et au numérique… Et pourtant, le supplément économique d’un grand quotidien adepte de l’austérité et des gaz de schiste, ne titrait-il pas dernièrement : «  la France doit-elle rouvrir ses mines ? ».

    En tout cas, au-delà des vaticinations futurologiques, la question du secteur minier, de son évolution récente et des luttes qui s’y sont déroulées et s’y déroulent, ne méritent pas de passer par pertes et profits sous prétexte d’un déclin inexorable, chaque jour un peu plus démenti.  

     

    Restructuration, mines en abîme

    Les débuts de la restructuration ont été notamment marqués par deux grandes luttes de mineurs, l’une aboutissant à une victoire en demi-teinte (grève des mineurs américains en décembre77/mars 78) et l’autre à une cuisante défaite (la grève des mineurs anglais de 84/85). Si la première semblait marquer un coup de frein à la contre-offensive du capital, la seconde a signifié l’écrasement de toute résistance au roll back. Quoiqu’on pense du rôle des « bastions de combativité » (Cf. la SNCF en 95), ils incarnaient une continuité des luttes qui donnait à l’affrontement une forte charge symbolique et stratégique. Comme le résumait à l’époque un mineur de Virginie occidentale : « Je fais ça pour tout le monde. La plupart des mineurs ressentent la même chose. S’ils brisent notre syndicat, les compagnies feront pareil aux autres. S’ils nous mettent par terre, ils casseront aussi les reins de ceux qui travaillent dans l’usine d’à côté. » Auquel semble répondre en écho un mineur anglais au moment de la reprise du travail : « Au moins, nous nous sommes bien battus pendant un an. » Et si, vu d’aujourd’hui, ces combats peuvent paraître « d’arrière-garde », c’est bien parce que ce secteur était, d’une certaine manière, déjà à « l’avant-garde ».

    En effet, la substitution du pétrole au charbon qui visait notamment à briser la centralité de ce groupe ouvrier combatif et très organisé, avait commencé bien plus tôt. Ainsi en France, c’est dés 1961 que des mines ferment ce qui provoquent des mouvements massifs (occupation de fond à Decazeville et ailleurs, « grande marche sur Paris » en 63) qui obtiendront diverses mesures de reclassement dont une promise à un grand avenir, les préretraites. C’est dans ce secteur minier, par essence rivé à un territoire et corseté par de lourds coûts d’investissement (en quelque sorte l’inverse de l’industrie textile), qu’a commencé, en occident, ce fameux « abandon » du travail par le capital qui fait encore tant pleurnicher syndicalistes et politiciens. Bien sûr, le passage au « tout pétrole », qui s’est effectué à une vitesse jamais vue dans l’histoire (en 1950 le charbon assurait encore 65% de l’approvisionnement en énergie dans le monde occidental) participait aussi du nouvel équilibre fordiste, à travers notamment à la stabilité des prix garantie par le cartel des « sept sœurs », et symbolisait le plein déploiement de la subordination réelle et de la seconde révolution industrielle[1]. En ce sens, le secteur minier était effectivement destiné au rayon des archaïsmes en voie de disparition. Mais mieux vaut laisser le déterminisme technique aux apologues du capital, aux tenants du marxisme momifié et autres libérateurs des « forces productives », car dans le jeu réciproque entre système technique et rapports sociaux, il n’y a pas de place pour une quelconque neutralité supra historique (progrès ou autre).

     La relative (voire très relative Cf. par exemple Suède ou Pologne) disparition du secteur minier au nord dans la restructuration est d’abord venu entériner une défaite prolétarienne, et ce dans ce qu’elle a eu de plus décisif, c’est à dire ses limites internes non dépassées (Identité ouvrière, affirmation du travail). Les mineurs anglais inondant les puits dont ils voulaient justement empêcher la fermeture ont eux aussi incarnés cette contradiction et son potentiel explosif.



    [1] Sur la question du rapport entre énergie et lutte des classes, on trouve de nombreuses analyses dans le n°13 (Hiver 08/09) de la revue en ligne The Commoner.


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    La proposition d’intervention a minima de la BCE avec tout son lot de conditionnalités ne vient qu’enteriner la poursuite de la mise sous austérité. Elle correspond aussi probablement à un ajustement nécessaire à la nouvelle donne qui se dessine « sur les marchés, notamment la Volcker Rule ( Vaste loi américaine de régulation du secteur bancaire, initiée par Paul Volcker ancien dirigeant de la réserve fédérale et auteur du « coup de 79, qui prévoit notamment d’encadrer très strictement voire d’interdire les achats de dette souveraines étrangères par des établissements basés aux Etats-Unis. Cette disposition participe parmi d’autres du « petit jeu » actuel de réglements de comptes dans le secteur financier Cf les enquêtes en cascade sur les banques anglaises qui auraient violées l’embargo sur l’Iran).

    Bref ce nouveau dispositif paracheve en quelque sorte le « moment espagnol »… du point de vue du capital.

     


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    Interdettependance nationale…

     

    La renationalisation de la dette souveraine espagnole (la part des détenteurs non-résidents est passée de 50% en 2008 à 25% aujourd’hui) parachève le cercle vicieux entre Etat, régions et banques : ainsi, l’Etat vole au secours de banques qui sont elles-mêmes les principales acheteuses et détentrices de sa dette, d’ou le vice-versa accéléré entre crise bancaire et souveraine. Les facilités offertes aux banques par la BCE et les prédictions auto-réalisatrices des marchés et agences de notation ont bien sûr largement contribuées à cette nouvelle étape de la « crise de la zone euro ». Désormais, « l’interdépendance de tous envers tous » qui, dans la théorie institutionnaliste, se cristallisait dans la monnaie et s’incarnait dans la souveraineté populaire se transforme dans la zone euro, avec sa « monnaie sans souveraineté » (Orléan) et inversement, en « interdettependance nationale », dernier mot d’une distribution plus ou moins particulière des rapports sociaux.

     

    …et saut fédéral 

     

    Il y a belle lurette qu’on nous annonce la fin du vieux couple capital/Etat-Nation et l’émancipation définitive du premier des conditions historiques et territoriales spécifiques, bref des lutte de classes locales et de leurs résultats. La fin du vieux système monétaire international et les diverses levées de barrières  (Marché Commun, OMC, etc.) ont d’ores et déjà grandement vidé de leur sens les « aires nationales d’accumulation » (Cf. la définition qu’en donne Théorie Communiste : « Là ou il y avait une localisation jointe des intérêts industriels, financiers et de la main d’œuvre »)[1]. Maintenant certains craignent justement que le « saut fédéral » dont on nous rebat les oreilles, ne signent l’arrêt de mort des compromis sociaux nationaux[2]. Or le ver était dans le fruit puisque ce sont bien ces compromis maintenus à flot par la perfusion de crédit et l’endettement public qui sont au cœur de la crise et ce sont les comptes de trois décennies d’entre-deux qui doivent être apurés. Interdettependance nationale et saut fédéral sont deux moments complémentaires de la restructuration de la contradiction prolétariat/capital.

     

     

     

    A suivre : Bien crevé vieille taupe ?

     

     

     


     
     
     

    [1] Sur le même thème on peut aussi se reporter à la thèse de « la péréquation duale du taux de profit » que développe Bruno Astarian dans son texte La période actuelle (disponible sur le site de la Matérielle) : « Une partie croissante de la production est assurée par des oligopoles multinationaux, tandis que la situation des capitaux nationaux est de plus en plus difficile. En effet, et indépendamment des effets de taille, cette structure duale signifie que la plus-value mondialement disponible ne se répartit plus entre les capitaux dans un processus de péréquation unique, mais selon un mouvement double où les capitaux du secteur ouvert sont systématiquement défavorisés par rapport à ceux du secteur oligopolistique. C'est ce phénomène qu'on appelle ici péréquation duale. »

     

     

     
     
     

    [2] « Le fédéralisme devrait-il s’appliquer à la protection sociale ? Celle-ci en Europe comme ailleurs (y compris les Etats fédéraux), dépend de compromis sociaux institutionnalisés dans un contexte national. Elle se définit dans un espace fermé, historiquement celui de l’Etat-nation, où sont inscrits les liens de solidarité et de redistribution qui la caractérisent et où sont établis les compromis politiques qui la fondent. Que pourrait signifier le fédéralisme pour la protection sociale en Europe ? On peut s’attendre à ce que le fédéralisme intensifie les clivages ethniques, linguistiques, régionaux ou religieux et diminue en revanche l’importance des clivages de classe qui a été fondamental pour l’émergence et la stabilité d’un système généreux de protection sociale dans les pays européens. » Bruno Amable Les dangers du fédéralisme Libération 07/12

     
     

     


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