• General motor Strasbourg, Continental automotive, Osram Molsheim, fonderies Montupet, entre autres en France ; Fiat Pomigliano, Mirafiori en Italie ; Schlecker en Allemagne ; GM encore, Coca-cola ou Harley-davidson aux Etats-Unis… Autant d’étapes d’un même no-deal qui s’impose un peu partout : en échange d’un « sauvetage de l’emploi », qui se formule le plus souvent sous la forme d’un sursis de 3-4 ans, des  concessions tout azimut. Avec, certes, des gradations : ici on rognera sur les RTT alors que là-bas on baisse les salaires de 25%. Les tactiques patronales aussi se diversifient : mise en faillite puis rachat de l’usine, scission de l’entreprise en deux entités distinctes, licenciement massif pour réembaucher sous de nouvelles conditions, etc.…

    Quitte à paraître radoter la défaite, il nous faut pourtant y inscrire cette énième régression. Quand ce qui était radicalement critiqué devint des « acquis à sauver », le mouvement ouvrier organisé, après sa « victoire » à la pyrhus sur le prolétariat, se fit, dans son déclin, le courtier de l’involution salariale afin d’écoper les différentes vagues de « downsizing ». Ce tournant inauguré par l’UAW (United Automobil Workers)  en 79 chez Chrysler avec un accord pour « sauver la firme », baisse des salaires et plus de flexibilité en échange de la défense de l’emploi, et qui se reproduira chez Ford puis GM, a eu pour version européenne ce qu’on a appelé le compromis Volkswagen. C’est en effet dans cette entreprise qu’IG-METALL  inaugure en 84 sa nouvelle stratégie d’accompagnement sous le prétexte que « la menace pour l’emploi vient autant d’une modernisation retardée que d’une modernisation accélérée ». La réduction du temps de travail en échange de l’austérité salariale fait de la priorité à l’emploi le mot d’ordre d’un prolétariat sur la défensive, allant même jusqu’à l’union sacrée  (CF: « Les profits d’aujourd’hui sont les emplois d’après demain »Helmut Schmidt) 

    Il semble désormais que même cette illusion de compromis soit condamnée à disparaître sous l’égide du No-deal actuel : les accords signés récemment indiquent qu’on est passé de « l’arrangement » à l’intimidation. Quand chaque licenciement accroît la productivité du travailleur restant ; que grâce au spectre du chômage, moins une entreprise a de salariés, moins elle les paie ou que la baisse du salaire nominal (exprimé en monnaie) semble toujours pouvoir être encore relativement compensée par un maintien du salaire réel (exprimé en marchandises achetables) grâce à la production discount délocalisée, on voit mal comment le « soliloque social » du patronat pourrait s’infléchir…

    « C’est de la lutte des classes ! » a comiquement déploré un dirigeant syndical britannique au sujet du récent plan d’austérité, ce bel aveu n’en est pas moins un bon résumé du niveau actuel du rapport de force dans les métropoles. La relative sortie de la léthargie à laquelle on a assisté ces derniers temps (Continental, Caterpillar, Fiat, etc.), est resté rivée au dialogue et à la négociation face à un capital fuyant (c’est aussi le sens des séquestrations : retenir la direction) et on a même vu des reprises du travail …contre l’avis de la direction (chez Fralib Gémenos (fabrication de sachets de thé Lipton).

     Si il y a eu du gaz dans certaines usines, personne n’a encore saisi la « bonbonne » occasion de faire éclater à la fois illusionnisme syndical et chantage du capital. Et pourtant, c’est ce type d’« acte désespéré » (après tout le suicide n’est-il pas devenu un moyen de protestation courant et pas uniquement de l’autre côté de la méditerranée ?) qui ouvrirait une brèche dans ce cercle vicieux où la mobilité du capital renvoie constamment le prolétariat à sa propre fixation, le vif, délaissé par l’inerte, pétitionnant contre sa « mort sociale »… S’en prendre à l’outil de travail n’est plus une « abomination » théorique mais un geste de bon sens quand les revendications deviennent des apories, le compromis un vieux souvenir et les illusions sur un « retour en arrière sociale» un bourrage de crânes et d’urnes.  


    votre commentaire
  • Que d’un côté on se félicite des révolutions « facebook » et que de l’autre on s’affole de la guérilla par « blackberry » (type de téléphone très utilisé par les émeutiers anglais), ne révèle qu’une contradiction apparente. Le «reducio ad medium» souligne qu’on reste dans les limites du détournement. Et on aurait tort de croire que ce dernier puisse se formuler avec la même quiétude révolutionnaire qu’auparavant. Comme le disaient les classiques : « ce qui est pris conditionne la saisie », si rien n’interdit un usage tactique de telle ou telle technologie, elles n’ont plus, loin s’en faut, la neutralité qu’on voulait bien leur attribuer.

    Ainsi ces instruments de communication devenus omniprésents en une petite décennie ne se laisseront pas simplement « subvertir » puisqu’ils participent centralement de l’ordre social.  

    On sait que la « so-called » libération des mœurs, la liberté devenant nouvelle idéologie de la consommation, a multiplié les impératifs sociaux (jouir, rire, bouger, etc.…) et étendu le maillage autoritaire de l’existence par les médiations marchandes et leur discipline des apparences. Cet approfondissement de la réification a justement trouvé un second souffle grâce au développement technologique, la miniaturisation notamment, qui a permis d’équiper chacun d’un arsenal de nouveaux outils qui donnent naissance à la convergence actuelle entre hyperconsommation et hypercommunication. Et, de façon concomitante, ce que la généralisation de la psychanalyse et de son monologue égotique avait préparé, les téléphones portables et diverses formes de cyber interactivité le réalise : le règne du bavardage unilatéral, sorte de retour de bâton après l’échec d’une révolte qui rêvait d’un « dialogue qui a fait vaincre ses propres conditions » (La société du spectacle).

    Bien évidemment, si « la profusion de termes techniques correspond très exactement à l’extension des domaines de la vie effectivement régis par la rationalité technique. » (J.Semprun), à l’ère des NTIC c’est le langage dans son ensemble qui tend à être technicisé. Ainsi, la recherche de l’optimum propre à toute démarche technique trouve sa pointe la plus avancée dans l’écriture phonétique très pratiquée par les jeunes. On remarquera d’ailleurs qu’on retrouve ce langage dit SMS dans les blogs et les chats : c’est à dire non pas du fait du seul outil numérique mais de son « utilité sociale », l’interactivité, qui en ne laissant peu, voire pas du tout, de place à l’élaboration, détermine cette involution philologique, car, est-il besoin de le préciser ?, on est bien loin ici de l’inventivité de l’argot, du verlan ou du hip-hop. Cette écriture  ne joue avec, ni n’invente de mots mais se contente de les décomposer et tend donc plutôt à imiter les lignes de chiffres qui composent les programmes d’ordinateurs. La question : K S Q TU Fé ?, mieux encore que le fameux « T’es où là ? » bien connu des usagers de téléphones portables, illustre la nouvelle norme hyperactive du « da sein » et la régression de l’expression aux babillements du « ça ».

    Enfin l’omniprésence de l’ordinateur, comme outil de travail et instrument de loisir, vecteur d’une mise sous tension de l’exploitation et de la consommation, moyen de surveillance dans les boites et la société, indique l’axe de l’hypersocialisation actuelle : la mobilisation de l’intime. Par l’intériorisation des objectifs, prôné par le management («  Il s’agit de mettre le salarié en situation de faire l’usage de soi, de ses émotions, de son intelligence, de son affect, de sa personnalité au profit de l’entreprise. » in Le travail nous est compté) et l’extraversion à haut débit, il faut désormais « s’investir totalement » (disponibilité, flexibilité, polyvalence) dans toutes les activités aliénées voire surenchérir dans la « common indecency » du dénuement suréquipé.

    Face à l’exhortation autoritaire à la communication comme à la visibilité, il y a un ensemble de sécession « productive » à inventer. Le silence des émeutiers français et anglais en est une, la convergence éventuelle évoquée plus haut en créera nécessairement de nouvelles.


    votre commentaire
  • Les émeutes anglaises sont jusqu’ici la première riposte à la mesure de l’offensive que représente l’austérité généralisée. « Criminelles » (dixit politicards et journaflics) elles le furent dans le sens où elles prennent au mot le «Hell»fare state   où paupérisation organisée et traitement punitif du non-travail vont de pair.

    Elles ont été d’autant moins « raciales » qu’elles ont attaqué de plein fouet la gentrification, ce soft apartheid, montrant là une voie qui, on l’espère, sera suivie ailleurs (Paris, Berlin notamment). Leur absence d’illusions s’est en tout cas vue confirmée par la fuite en avant sécuritaire choisie par Cameron qui, tout comme la crise des dettes souveraines continuant en course à l’échalote du plus de rigueur, indique que le « there is no alternative » traditionnel se décline désormais en tolérance zéro.

    Comme en 2005, on a déploré le « mutisme revendicatif » des émeutiers et pourtant ce silence est un des ponts les plus intéressants entre ces deux mouvements. Qu’il inquiète est bien normal, car il suppose d’ores et déjà une radicalité qui ne se laisse pas phagocyter dans le politique et un démocrate bon teint ne peut que s’étonner de voir toute cette force vive se soustraire au régime neutralisant de la représentation. Certes les actes parlent par eux-mêmes et on pourrait d’ailleurs dire que ces émeutes pratiquent d’une certaine manière un « langage du signe » vis à vis de la société, dans le sens : « on a commencé, à vous de suivre » (La volonté de répondre à 2005 a ainsi parcouru tout le mouvement contre le CPE). Et si il semble difficile à admettre que se taire ne signifie pas nécessairement qu’on se résigne, c’est pourtant de juin 1848 aux multiples refus silencieux qui jalonnent l’histoire de « l’anti-travail »,  une vieille leçon du mouvement ouvrier.

    Cette radicalité sans phrases vient aussi offrir un salutaire contrepoint à toute la vague « indignée ». Il ne s’agit pas d’opposer platement ces deux mouvements, (prolétaires combatifs vs petite bourgeoisie numérique ou réforme vs révolution), mais de comprendre que le silence des uns en dit tout de même long sur la vacuité des réclamations des autres. La revitalisation de l’illusion démocratiste ou de cette forme précieuse du masochisme qu’est la non-violence ont suscité un concert effectivement indigne de pamoisons bienveillantes car tant de bonnes intentions si poliment exposées ( à peine le mouvement avait-il commencé qu’on rédigeait une longue plate-forme de revendications) surjouaient presque l’inoffensivité. Surtout, on ne sortait pas de « sa place » dans la grande fiction sociale, où le désir d’intégration se faisait ainsi entendre sans bousculer en quoi que ce soit le monologue des « sacrifices nécessaires ». Bref, il y avait effectivement quelque chose de dérisoire à voir les participants de ces campements se laisser tranquillement berner par leur propres discours, se pétrifiant de commissions en service d’ordre pour que tout cela finisse en quelques sinécures médiatiques pour les plus malins et en élément de décor histrionnesque pour récit de grande crise.

    Il n’y a pas de silence révolutionnaire qui s’opposerait à un caquetage réformiste mais une conflictualité qui doit refuser de se « laisser parler » par le capital, c’est à dire de continuer à fonctionner comme une de ses catégories.

    La restructuration, en reléguant une partie de la force de travail dans les zones grises de l’économie informelle (les lascars, les sans-papiers) et de l’inactivité en sursis (Workfare, Etat pénal) et en dérobant peu à peu le sol sous les pieds de la traditionnelle classe de l’encadrement (réduction drastique du fonctionnariat, baisse tendancielle de la valeur d’échange des diplômes)  crée les conditions d’une convergence de ces obsolètes qui n’ont plus grand chose à négocier. Mais cette convergence doit inventer son propre terrain. Si le silence s’ébruite des banlieues parisiennes au centre de Londres nous n’en sommes peut-être qu’au prélude.

     


    1 commentaire
  • L’annonce par la direction de Foxconn ( sous-traitant d’Apple notamment) de sa volonté de remplacer 500 000 de ses employés par un million de robots en 3 ans pour remédier radicalement à la vague de suicides qui avait touché ses usines, si elle confirme que la délocalisation intérieure, vers le centre du pays, ne résoud pas le problème de la combativité du prolétariat chinois, a le comique effet de revitaliser un mythe devenu plutôt désuet sous nos latitudes : la résorption de l’antagonisme par l’automation. L’occasion de faire, en passant, un bref retour sur le sujet…

    A tâtons ou a grande enjambées, la dynamique de développement des technologies de production capitaliste c’est la lutte des classes : qu’il s’agisse de contourner un savoir-faire, de faire la guerre à la flânerie ou de se débarrasser d’exploités trop remuant, la substitution de capital constant, de travail mort à du capital variable, du travail vivant est en général la première mesure prise contre l’insubordination. Et effectivement dés les années 60, on commence à introduire de l’informatique, de l’électronique et de la robotique. Il s’agissait de franchir un nouveau seuil dans le contrôle de la production, de «  diminuer la vulnérabilité de la chaîne de montage à l’absentéisme, au turn-over et plus généralement aux diverses formes larvées ou ouvertes de la résistance ouvrière. » (Benjamin Coriat L’atelier et le robot). Bien évidemment les secteurs les plus automatisés furent ceux où on employait les ouvriers spécialisés, les OS qui étaient à la pointe de l’anti-travail, (« La forme sociale actuelle d’automatisation les met prioritairement hors-jeu » Michel Freyssinet). De même, le passage plus ou moins organisé du charbon au tout pétrole correspondait aussi à la volonté de ne plus dépendre d’un secteur fortement combatif de la classe ouvrière disposant de surcroît d’un fort levier de pression comme l’avait montrée la grève des mineurs de 73-74 en Angleterre qui était parvenue à faire tomber le gouvernement du conservateur Heath.

    Mais ce « troisième âge de l’automation » , à l’image de l’usine entièrement automatisée (L.A.M) inaugurée par Fiat a la fin des années 70, allait buter sur un obstacle de taille : l’impossible suppression du travail vivant. Tout comme les grands discours managériaux sur l’humanisation des tâches, l’automatisation totale est restée un mythe, mythe qui avait la douteuse particularité d’alimenter tout à la fois doxas patronales et gauchistes. Ces derniers, croyant trouver là la vérification du pronostic le plus regrettable de Marx, s’en donnaient effectivement à cœur joie : «  Le communisme utilisera la base matérielle que lui lèguera le vieux monde. Surtout il développera les acquis techniques et scientifiques. Il le fera vite et mieux que le capital. » (4 millions de jeunes travailleurs Un monde sans argent) Ou encore, sur un mode plus délirant : «  La technique contemporaine, la cybernétique et l’énergie nucléaire exigent une association consciemment planifiée des producteurs et des consommateurs s’appuyant sur l’autogestion. » (Ernest Mandel La réponse socialiste au défi américain). Si la vérité de l’automatisation tant vantée ou rêvée n’a finalement consistée qu’en un simple renversement du « travailler moins, gagner plus » des revendications de l’époque en un « produire plus avec moins de monde » qui semble atteindre aujourd’hui son apothéose, la restructuration aura eu au moins le mérite de voir s’effilocher le vieux progressisme révolutionnaire et sa sanctification des forces productives. Cette « euthanasie de la vision rentière » de l’histoire héritée de la social-démocratie permet d’ores et déjà de redécouvrir toute la richesse cachée des luttes ouvrières contre le travail (Cf. Michael Seidman Ouvriers contre le travail paru aux éditions Senonevero) au-delà de l’habituel épouvantail luddite…


    votre commentaire
  • La version la plus courante des explications plus ou moins magiques qui accompagnent le psychodrame boursier actuel peut se résumer comme suit : en 2008 les Etats ont sauvé les banques mais pour ce faire se sont ruinés, ce qui pousse les mêmes banques et les « marchés » à ne plus leur prêter qu’a des taux usuraires les menant ainsi à la faillite alors même que banques et « marchés » s’affolent d’un retour de la récession que les Etats ne pourront empêcher faute de moyens d’effectuer une politique de relance. Au-delà de ce qui est formellement vrai, on suggère avec ce galimitia qu’il n’y a rien à comprendre ni a faire si ce n’est opiner stoïquement aux plans d’ajustement présents et à venir. Sans vouloir éclaircir tous les phénomènes actuels d’un coup de baguette marxiste, on peut tout de même replacer quelques éléments  de la « crise » actuelle dans leur contexte historique

    Le moteur du capitalisme ce n’est pas la « surréalisation de la valeur » sur des échelles nano-temporelles mais un rapport social constant et conflictuel, l’exploitation, avec la force de travail partout dans le monde. La finance participe de ce rapport social mais elle n’en est pas le « deus ex machina », ni le « general intellect », moyen de la restructuration (rétablissement du taux de profit, centralisation et internationalisation du capital) elle est aussi un moment de son inachèvement (crise larvée de l’accumulation, oligarchisation, etc).

    De même la dette publique, posée comme instance divine contenant tous les péchés des peuples et dont ils devraient se sentir solidairement responsables, si elle est en partie due au détricotage de toute la politique fiscale depuis 30 ans et à « l’off-shorisation » des grands groupes, elle exprime surtout un entre-deux qui tend à prendre fin. L’endettement public a servi à écoper déflation salariale et fuite du capital en maintenant un niveau relativement élevé de socialisation de la consommation. En ce sens il est le produit de la remise en cause inachevée du rapport social, c’est à dire du travail comme moment du capital, dans l’offensive des années 60-70. Celle-ci détermine l’entre-deux de la contre-révolution comme involution lente des conditions de l’exploitation : la réduction du travail à un coût sans que ses conditions de reproduction soient fondamentalement modifiées est le pendant inversé d’un anti-travail resté à mi-chemin. La vrai crise au nord ce serait plutôt cet inachèvement.

    Et quand Poul Thomsen, représentant du FMI au sein de la troïka qui contrôle le plan d’austérité grecque, explique que « C’est impossible de réduire le déficit budgétaire sans récession. » Il ne faut pas s’arrêter au contresens, réduire un déficit alors même que les recettes baissent, mais comprendre que le cercle vicieux endettement-austérité est un instrument stratégique de la classe capitaliste.


    votre commentaire