• Bien crevée, vieille taupe ? (4)

    Raccourcis autour de l’histoire du secteur minier sud-africain (c)

     

    III Ethnicisation, etc.

    Dans la vieille tradition de la « Terra nullus » coloniale, les autorités de l’apartheid ont constamment cherché à faire des Africains des étrangers sur leur propre terre. Et toujours selon les vieux préceptes de la domination par l’essentialisation1, cette allogénisation fut couplée, à partir du Bantu Self gouvernement act de 59, d’une ethnicisation méticuleuse tant dans la division du travail, que dans la création des Etats tribaux (à 9 ethnies arbitrairement éternisées correspondait 9 bantoustans, dont le Bophuthatswana qui couvrait la plus grande partie de la « ceinture de platine » actuelle). Malgré quelques succès occasionnels, cette politique fut toutefois constamment mise en échec par les révoltes Noires des années 70 et 80.

    Si les bantoustans ont disparus et si les conflits ethnico-politiques de la transition ont été surmontés (les affrontements entre Inkhata et ANC ont tout de même fait 20 000 morts en dix ans), la division ethnique du travail a été en grande partie maintenue dans les mines2 et la xénophobie, dirigée désormais contre les immigrants des pays voisins, entretenue par l’ANC au pouvoir et les médias, ce qui a mené aux « pogroms » anti-zimbabwéens de mai 2008. Et, d’une pierre deux coups, certains seconds couteaux de l’ANC s’enrichissent même via la gestion des lagers pour immigrés illégaux ( ainsi la section féminine du parti qui a de nombreux intérêts financiers dans le centre de rétention de Lindela- situé sur un ancien compound minier). Quand au panafricanisme des années de luttes contre l’apartheid il n’est désormais plus que le vernis des ambitions sous-impérialistes des dirigeants sud-africains qui poussent à travers le NEPAD (Nouveau partenariat économique pour le développement de l’Afrique) à la libéralisation dans les pays avoisinants.

    Un épisode relativement burlesque résume assez bien les modalités de cette nouvelle mouture de compromis raciste : en 2008, un arrêt de la haute cour a préconisé que les chinois sud-africains soient reconnus comme Noirs selon la législation du Black Economic Empowerement, ce qui provoqua la réaction courroucée de la NAFCOC (l’association des businessmen noirs) qui fit savoir par la bouche de son président  « que le gâteau du BEE était trop petit pour être partagé ». Les « BEEple » ou « BEEllionnaires » comme on les surnomme, tiennent effectivement beaucoup à cette « discrimination positive » devenue système de cooptation kleptocratique, qui a permis de multiplier par 4 le nombre de familles possédant un patrimoine supérieur à 30 millions de dollars entre 94 et 03 (ce qui fait 690 familles pour un pays qui compte officiellement 22 millions de pauvres). Et pour préserver « l’unité noire », c’est à dire perpétuer l’interclassisme nationaliste quoi de mieux en effet que de rebâtir d’une manière ou d’une autre une barrière raciale, vieille recette appliquée par toutes les oligarchies post-coloniales : …3 

     

    1 Cf. Rappelons en passant la grande « réussite » de l’ethnologie coloniale au Rwanda : «  Les concepts intellectuels forgés par le colonialisme à partir d’une appréhension inexacte de la réalité sont ainsi devenu progressivement la « réalité » avec son cortège de ségrégation raciale, de diabolisation de l’autre et in fine, de massacres ethniques. » Article Rwanda in Mondes rebelles (96)

    2 «Lonmin a exploité ces divisions – exacerbées par la vieille stratégie de l’industrie minière de recrutement selon les divisions tribales et régionales– les « drill workers » à Lonmin sont surtout des Xhosas recrutés dans la région de l’est du Cap pour travailler dans une zone où l’on parle majoritairement Tswana » Lenny Gentle The massacre of our illusions... and the seeds of something new disponible sur Zabalaza.net.

    3 Cf. « Il n’y aura pas de lutte de classe inter-Noirs tant que la séparation raciale restera la clé de la politique de ce pays. » (De Pretoria à Liverpool in La Banquise N°4) Sur la dynamique du racisme post-colonial, on peut se reporter au chapitre Mésaventures de la conscience nationale in Les damnés de la terre de Frantz Fanon. Sur l’Afrique du Sud en particulier, voir le livre de Michael Neocosmos : From ‘Foreign Natives’ to ‘Native Foreigners’ disponible sur www.codesria.org


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