• L’annonce par la direction de Foxconn ( sous-traitant d’Apple notamment) de sa volonté de remplacer 500 000 de ses employés par un million de robots en 3 ans pour remédier radicalement à la vague de suicides qui avait touché ses usines, si elle confirme que la délocalisation intérieure, vers le centre du pays, ne résoud pas le problème de la combativité du prolétariat chinois, a le comique effet de revitaliser un mythe devenu plutôt désuet sous nos latitudes : la résorption de l’antagonisme par l’automation. L’occasion de faire, en passant, un bref retour sur le sujet…

    A tâtons ou a grande enjambées, la dynamique de développement des technologies de production capitaliste c’est la lutte des classes : qu’il s’agisse de contourner un savoir-faire, de faire la guerre à la flânerie ou de se débarrasser d’exploités trop remuant, la substitution de capital constant, de travail mort à du capital variable, du travail vivant est en général la première mesure prise contre l’insubordination. Et effectivement dés les années 60, on commence à introduire de l’informatique, de l’électronique et de la robotique. Il s’agissait de franchir un nouveau seuil dans le contrôle de la production, de «  diminuer la vulnérabilité de la chaîne de montage à l’absentéisme, au turn-over et plus généralement aux diverses formes larvées ou ouvertes de la résistance ouvrière. » (Benjamin Coriat L’atelier et le robot). Bien évidemment les secteurs les plus automatisés furent ceux où on employait les ouvriers spécialisés, les OS qui étaient à la pointe de l’anti-travail, (« La forme sociale actuelle d’automatisation les met prioritairement hors-jeu » Michel Freyssinet). De même, le passage plus ou moins organisé du charbon au tout pétrole correspondait aussi à la volonté de ne plus dépendre d’un secteur fortement combatif de la classe ouvrière disposant de surcroît d’un fort levier de pression comme l’avait montrée la grève des mineurs de 73-74 en Angleterre qui était parvenue à faire tomber le gouvernement du conservateur Heath.

    Mais ce « troisième âge de l’automation » , à l’image de l’usine entièrement automatisée (L.A.M) inaugurée par Fiat a la fin des années 70, allait buter sur un obstacle de taille : l’impossible suppression du travail vivant. Tout comme les grands discours managériaux sur l’humanisation des tâches, l’automatisation totale est restée un mythe, mythe qui avait la douteuse particularité d’alimenter tout à la fois doxas patronales et gauchistes. Ces derniers, croyant trouver là la vérification du pronostic le plus regrettable de Marx, s’en donnaient effectivement à cœur joie : «  Le communisme utilisera la base matérielle que lui lèguera le vieux monde. Surtout il développera les acquis techniques et scientifiques. Il le fera vite et mieux que le capital. » (4 millions de jeunes travailleurs Un monde sans argent) Ou encore, sur un mode plus délirant : «  La technique contemporaine, la cybernétique et l’énergie nucléaire exigent une association consciemment planifiée des producteurs et des consommateurs s’appuyant sur l’autogestion. » (Ernest Mandel La réponse socialiste au défi américain). Si la vérité de l’automatisation tant vantée ou rêvée n’a finalement consistée qu’en un simple renversement du « travailler moins, gagner plus » des revendications de l’époque en un « produire plus avec moins de monde » qui semble atteindre aujourd’hui son apothéose, la restructuration aura eu au moins le mérite de voir s’effilocher le vieux progressisme révolutionnaire et sa sanctification des forces productives. Cette « euthanasie de la vision rentière » de l’histoire héritée de la social-démocratie permet d’ores et déjà de redécouvrir toute la richesse cachée des luttes ouvrières contre le travail (Cf. Michael Seidman Ouvriers contre le travail paru aux éditions Senonevero) au-delà de l’habituel épouvantail luddite…


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  • La version la plus courante des explications plus ou moins magiques qui accompagnent le psychodrame boursier actuel peut se résumer comme suit : en 2008 les Etats ont sauvé les banques mais pour ce faire se sont ruinés, ce qui pousse les mêmes banques et les « marchés » à ne plus leur prêter qu’a des taux usuraires les menant ainsi à la faillite alors même que banques et « marchés » s’affolent d’un retour de la récession que les Etats ne pourront empêcher faute de moyens d’effectuer une politique de relance. Au-delà de ce qui est formellement vrai, on suggère avec ce galimitia qu’il n’y a rien à comprendre ni a faire si ce n’est opiner stoïquement aux plans d’ajustement présents et à venir. Sans vouloir éclaircir tous les phénomènes actuels d’un coup de baguette marxiste, on peut tout de même replacer quelques éléments  de la « crise » actuelle dans leur contexte historique

    Le moteur du capitalisme ce n’est pas la « surréalisation de la valeur » sur des échelles nano-temporelles mais un rapport social constant et conflictuel, l’exploitation, avec la force de travail partout dans le monde. La finance participe de ce rapport social mais elle n’en est pas le « deus ex machina », ni le « general intellect », moyen de la restructuration (rétablissement du taux de profit, centralisation et internationalisation du capital) elle est aussi un moment de son inachèvement (crise larvée de l’accumulation, oligarchisation, etc).

    De même la dette publique, posée comme instance divine contenant tous les péchés des peuples et dont ils devraient se sentir solidairement responsables, si elle est en partie due au détricotage de toute la politique fiscale depuis 30 ans et à « l’off-shorisation » des grands groupes, elle exprime surtout un entre-deux qui tend à prendre fin. L’endettement public a servi à écoper déflation salariale et fuite du capital en maintenant un niveau relativement élevé de socialisation de la consommation. En ce sens il est le produit de la remise en cause inachevée du rapport social, c’est à dire du travail comme moment du capital, dans l’offensive des années 60-70. Celle-ci détermine l’entre-deux de la contre-révolution comme involution lente des conditions de l’exploitation : la réduction du travail à un coût sans que ses conditions de reproduction soient fondamentalement modifiées est le pendant inversé d’un anti-travail resté à mi-chemin. La vrai crise au nord ce serait plutôt cet inachèvement.

    Et quand Poul Thomsen, représentant du FMI au sein de la troïka qui contrôle le plan d’austérité grecque, explique que « C’est impossible de réduire le déficit budgétaire sans récession. » Il ne faut pas s’arrêter au contresens, réduire un déficit alors même que les recettes baissent, mais comprendre que le cercle vicieux endettement-austérité est un instrument stratégique de la classe capitaliste.


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  • Si elle a effectivement beaucoup démantelé, la restructuration n’en a pas moins approfondi et intensifié la subordination de la société à la production de masse/consommation de masse. Toutefois cette socialisation extensive trouve sa limite dans la crise : la déflation salariale supposait la reproduction à crédit de la force de travail et l’exploitation à bas coût au Sud : bulles immobilières et luttes ouvrières sont venues mettrent à mal ce fragile équilibre. Le compromis social basé sur l’enrichissement fictif s’étant évaporé, il ne reste plus qu’à redistribuer de la paupérisation. Tactiquement cet « a minima »-géneisation s’accommode évidemment très bien d’ethnicisation et de dénonciation de l’assistanat car comme l’a si joliment dit l’économiste Olivier Pastré : «  La crise des subprimes est arrivée par les pauvres. Elle se répercutera sur les pauvres. » Mais cet acharnement ne tient pas qu’à une simple misanthropie de nantis, derrière la guerre déclarée à l’inactivité c’est aussi la crainte que l’exclusion ne se transforme en une désaffiliation sociale plus radicale. Car si l’anti-travail des années 60-70 a été pour ainsi dire désarmé par le chômage de masse, le maintien de ce dernier à des niveaux élevés (ce en quoi d’ailleurs, il est devenu un indicateur de la conflictualité dans la restructuration), émousse sévèrement la propension à l’intégration dans une société où il faut désormais faire des pieds et des mains pour se faire exploiter. Les bêlements « indignés » masquent mal que, par exemple, toute une partie de la jeunesse a rejoint la cohorte des désabusés du salariat. Et comme le rappelait à très juste titre La Banquise il y a certain temps déjà : « C’est l’activité qui est essentielle. Emprisonnée dans le travail, elle en détermine l’évolution et les crises. Parce que cette activité est le centre de la vie sociale, la dualité antagonique travail-activité est décisive pour une révolution future. » (N°4 1986) C’est justement le re-développement de l’activité en dehors du travail qui inquiète les gestionnaires, voire les gauchistes qui proposent charitablement un revenu universel garanti pour le neutraliser.

    Sans tomber dans la fable anti-industrielle de la révolution par le potager, il faut bien admettre que la redécouverte d’un certains nombres de pratiques et savoirs dessine en creux une sécession d’avec « le processus social de production». « A partir du moment (..) où le produit individuel est transformé en produit social, en produit d’un travailleur collectif dont les différents membres participent au maniement de la matière à des degrés très divers, de près ou de loin, ou même pas du tout, les déterminations de travail productif, de travailleur productif s’élargissent nécessairement. Pour être productif, il n’est plus nécessaire de mettre soi-même la main à l’œuvre, il suffit d’être un organe du travailleur collectif ou d’en remplir une fonction quelconque. » (Marx  Le Capital) C’est au moment où la mise à l’écart cesse d’être productive, que sous l’inactivité, l’activité perce, qu’il devient aussi urgent d’appliquer le traitement de cheval du « workhouse » à cet insidieux « cancer de la société » (dixit Laurent Wauquiez). Bref, le chomage de masse comme contre-offensive, étend aussi l’anti-travail hors du travail.  


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  • Depuis 30 ans la lutte contre le chômage est d’abord une lutte contre ce qui reste de « travail organisé », que ce soit par les vagues successives de dérégulation par la surréglementation du marché du travail ou par le rôle décisif que joue cet épouvantail pour maintenir « l’entente forcée » dans les boites ou la docilité inquiète à tous les âges et bas étages de la société. Au-delà des petits jeux statistiques, l’inactivité (ne plus être compté dans la population active, c’est à dire  salariés + chômeurs) a, elle aussi, participée à la multiplication des statuts alternatifs au salariat classique accompagnant l’essor du travail intérimaire et servi de soupape aux divers durcissements des régimes d’allocation-chomâge pour ceux que l’on considère comme encore exploitables. Précisons qu’ainsi en Grande Bretagne 2,7 millions de personnes sont titulaires du régime d’invalidité, ce qui constituait avant la crise deux fois et demi le nombre de bénéficiaires de l’allocation chômage. De même au Danemark, ce sont 20% des 15-64 ans qui sont sortis plus ou moins définitivement du marché du travail.  Mais le resserrement actuel des contrôles et la généralisation progressive du travail gratuit indiquent que nous sommes à un nouveau tournant.

    Pour en  rester aux chiffres, il est clair qu’avec le vieillissement des populations, la gestion de l’inactivité devient centrale pour le capital : en ajoutant retraités et bénéficiaires des aides sociales, on en arrive, à moyen terme, à 25 millions d’inactifs en Allemagne, 19 millions en France et 17 millions en Grande Bretagne.

    Les retraités constituent un double problème puisqu’ils bénéficient de l’ancien régime de contractualisation de la lutte des classes, qui peut encore être rogné mais difficilement supprimé et ne peut en tout cas pas être équilibré du fait de l’externalisation de la production (Aux Etats-Unis, on compte 3 retraités pour 1 actif chez General Motors). Ironie du sort, c’est un peu le travail « mort » (sa combativité passée et les mesures nécessaires à sa fixation cf. fidéliser pour lutter contre le turn-over) qui pèse sur le capital.

    L’inactivité exprime donc une contradiction propre à la restructuration : comptes impossibles à solder de l’ancien cycle de luttes, rétablissement du rapport de force par la mise en quarantaine d’une partie du travail vivant traité comme valeur usagée et déséquilibre entre contrôle social sur une aire nationale et mobilité mondiale du capital. La création actuelle d’un « servile public » de la main-d’œuvre vise donc à pallier aux effets les plus saillants de cette contradiction en réduisant les coûts de reproduction du non-travail. Mais, comme l’ont montré les diverses aberrations émaillants l’offensive contre les régimes d’invalidité ( un cul-de-jatte envoyé ramasser des asperges en Allemagne, un homme au bras plâtré considéré comme apte à porter des objets lourds en Angleterre, etc.…), il s’agit plus de discipline que de valorisation (Nous verrons dans la deuxième partie pourquoi).


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