• Quand le silence s’ébruite.

    Les émeutes anglaises sont jusqu’ici la première riposte à la mesure de l’offensive que représente l’austérité généralisée. « Criminelles » (dixit politicards et journaflics) elles le furent dans le sens où elles prennent au mot le «Hell»fare state   où paupérisation organisée et traitement punitif du non-travail vont de pair.

    Elles ont été d’autant moins « raciales » qu’elles ont attaqué de plein fouet la gentrification, ce soft apartheid, montrant là une voie qui, on l’espère, sera suivie ailleurs (Paris, Berlin notamment). Leur absence d’illusions s’est en tout cas vue confirmée par la fuite en avant sécuritaire choisie par Cameron qui, tout comme la crise des dettes souveraines continuant en course à l’échalote du plus de rigueur, indique que le « there is no alternative » traditionnel se décline désormais en tolérance zéro.

    Comme en 2005, on a déploré le « mutisme revendicatif » des émeutiers et pourtant ce silence est un des ponts les plus intéressants entre ces deux mouvements. Qu’il inquiète est bien normal, car il suppose d’ores et déjà une radicalité qui ne se laisse pas phagocyter dans le politique et un démocrate bon teint ne peut que s’étonner de voir toute cette force vive se soustraire au régime neutralisant de la représentation. Certes les actes parlent par eux-mêmes et on pourrait d’ailleurs dire que ces émeutes pratiquent d’une certaine manière un « langage du signe » vis à vis de la société, dans le sens : « on a commencé, à vous de suivre » (La volonté de répondre à 2005 a ainsi parcouru tout le mouvement contre le CPE). Et si il semble difficile à admettre que se taire ne signifie pas nécessairement qu’on se résigne, c’est pourtant de juin 1848 aux multiples refus silencieux qui jalonnent l’histoire de « l’anti-travail »,  une vieille leçon du mouvement ouvrier.

    Cette radicalité sans phrases vient aussi offrir un salutaire contrepoint à toute la vague « indignée ». Il ne s’agit pas d’opposer platement ces deux mouvements, (prolétaires combatifs vs petite bourgeoisie numérique ou réforme vs révolution), mais de comprendre que le silence des uns en dit tout de même long sur la vacuité des réclamations des autres. La revitalisation de l’illusion démocratiste ou de cette forme précieuse du masochisme qu’est la non-violence ont suscité un concert effectivement indigne de pamoisons bienveillantes car tant de bonnes intentions si poliment exposées ( à peine le mouvement avait-il commencé qu’on rédigeait une longue plate-forme de revendications) surjouaient presque l’inoffensivité. Surtout, on ne sortait pas de « sa place » dans la grande fiction sociale, où le désir d’intégration se faisait ainsi entendre sans bousculer en quoi que ce soit le monologue des « sacrifices nécessaires ». Bref, il y avait effectivement quelque chose de dérisoire à voir les participants de ces campements se laisser tranquillement berner par leur propres discours, se pétrifiant de commissions en service d’ordre pour que tout cela finisse en quelques sinécures médiatiques pour les plus malins et en élément de décor histrionnesque pour récit de grande crise.

    Il n’y a pas de silence révolutionnaire qui s’opposerait à un caquetage réformiste mais une conflictualité qui doit refuser de se « laisser parler » par le capital, c’est à dire de continuer à fonctionner comme une de ses catégories.

    La restructuration, en reléguant une partie de la force de travail dans les zones grises de l’économie informelle (les lascars, les sans-papiers) et de l’inactivité en sursis (Workfare, Etat pénal) et en dérobant peu à peu le sol sous les pieds de la traditionnelle classe de l’encadrement (réduction drastique du fonctionnariat, baisse tendancielle de la valeur d’échange des diplômes)  crée les conditions d’une convergence de ces obsolètes qui n’ont plus grand chose à négocier. Mais cette convergence doit inventer son propre terrain. Si le silence s’ébruite des banlieues parisiennes au centre de Londres nous n’en sommes peut-être qu’au prélude.

     


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  • Commentaires

    1
    AD
    Jeudi 18 Août 2011 à 10:32

    "(prolétaires combatifs vs petite bourgeoisie numérique )"...@sedasy

    Hmm...S'agit-il réellement de "petite bourgeoisie" ? ( C'est quoi la "petite bourgeoisie" en Espagne au XXIème ?), ce ne serait pas plutôt un mouvement inter-classiste, dans le sens qu'il véhicule et met en avant des éléments réformistes des "couches moyennes", auxquels se mêlent une infime couche de petits artisans et propriétaires en faillite ( petits boutiquiers, professions libérales dévalorisées...etc) tous confrontés  au problème de la reproduction de leur "couche", à l'absence d'avenir... Il est question d'étudiantes, de fonctionnaires, de retraitées et éventuellement de salariées précaires du public et du privé... c'est cela en masse qui forme le gros des "indignados", est-cela la " petite bourgeoisie" ?

    salutations.

     

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