• à la marge (3) Chargées de famille

     

    Dans la longue liste des « mauvais pauvres » sont venues s’ajouter au travers de récentes mesures d’austérité, les mères de famille célibataires. Ainsi, en Grande-Bretagne sont-elles désormais obligées de chercher un travail pour garder leurs allocations  tandis qu’en Allemagne le salaire parental a été supprimé pour les bénéficiaires de Hartz IV. Mesures surprenantes dans des pays où la démographie fortement déclinante n’est justement soutenue que par les pauvres, autochtones ou immigrés… Certes, on peut le constater dans n’importe quel quartier populaire de Berlin, il y a effectivement un évitement du travail par la maternité, une « prolétarisation » au sens premier du terme

     

    (« Proletarius : qui ne compte dans l’état que par ses enfants ») ce qui alimente depuis longtemps aux Etats-Unis divers délires racistes ou sociaux-darwinistes. Il peut sembler légitimement douteux  d’associer maternité et anti-travail, mais si nous recourrons à ce raccourci, c’est qu’il met en lumière un des aspects central de la contre-révolution, c’est à dire, pour faire vite, l’échec du féminisme, la révolte contre le patriarcat s’étant retournée en promotion de l’émancipation sous l’égide de l’aliénation marchande et du salariat.

     

    La dénonciation du travail invisible et non payé de la mère était un thème important du féminisme, notamment dans l’autonomie italienne et comme le constate Silvia Frederici : «  Dés le début des années 70, le refus par les femmes du travail domestique a pris la forme d’une migration massive vers le travail salarié. » (in The restructuring of social reproduction in USA in the 70’s). Or, cette révolte restée à mi chemin, tout comme (mais aussi parce que)  « l’anti-travail » ,  va permettre au capital de reprendre l’initiative selon le principe constant de la restructuration : partir de là où s’épuise la subversion pour achever, dans un sens invers, ce qu’elle avait commencée (l’involution post-fordiste, la rétroversion post-moderne).

     

    Ainsi, cette migration qui s’est faite vers un salariat non qualifiée et précarisée, tout aussi routinier et répétitif que le travail domestique, participe de la néo-taylorisation des services et du délitement des vieilles normes contractuelles. De même, la fin relative du travail gratuit de la mère inaugure dans le même temps une nouvelle phase de subordination des foyers à la marchandise (« Dans la mesure ou le système de salariat se développe, tout produit se transforme en marchandise (..) » Marx). La fin de la famille traditionnelle implique en effet de nouvelles modalités de reproduction de la force de travail par la massification des services à la personne et de la production alimentaire transformée (plats surgelés), l’explosion de l’industrie du divertissement ou du « souci de soi » (jogging, etc.). La fin du « cycle foyer/usine, salaire masculin/travail domestique » (Silvia Frederici ibid.), débouche au final sur une émancipation en trompe l’œil (ne serait-ce que par l’épuisement que produit le double emploi), d’où le patriarcat, plus diffus, est loin d’avoir disparu.

     

    Précisons, qu’il ne s’agit bien évidemment pas ici de réhabiliter, sous on ne sait quel prétexte « objectif », le « Kinder, Kirchen, KÜche » mais de comprendre que c’est cette défaite des luttes,  notamment féministes, des années 60/70 qui détermine encore le cours de la restructuration.

     

    La salarisation extensive,  pendant du chômage de masse, doit donc continuer. D’ailleurs, certaines féministes ultra-libérales poussent l’apologie du travail jusqu'à soutenir l’individualisation des droits sociaux c’est à dire ne plus fournir d’allocations aux familles en tant que telle pour pousser, « en dégradant leur situation », les femmes à travailler. Toutefois la reconversion du parc à rebus dans les services à la personne ou dans l’auto-dumping micro-entrepreunarial, n’est pas l’invention d’un nouveau régime d’exploitation mais plutôt la mise au sous-travail, ou sous tutelle, comme contrôle social à bas coût. L’important étant peut-être qu’un au-delà de la fausse alternative maternité et/ou précariat, c’est à dire une redécouverte de toute la critique féministe de la reproduction, ne puisse émerger. C’est pourtant le moins qu’on puisse souhaiter aux filles-mères de Wedding.  

     


    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    1
    Atzo
    Jeudi 28 Juillet 2011 à 21:42

    Merci pour votre article . Je suis parfaitement d'accord avec vous sur le fait qu'il y a une complémentarité entre l'exploitation patriarcale au sein de la famille et l'exploitation par le travail dégradé auquelles sont contraintes les femmes. Et également que la lutte "féministe" ignore complétement les violence institutionnelles et sociales que nous subissons. Beaucoup de bourgeoises n'ont aucun intêret à se priver des "services à la personne" ce nouveau marché aux esclaves.

    Je ne pense pas que le travail libère qui que soit, et encore moins les femmes. Mais pourquoi affirmez vous que l'individualisation des droits sociaux soit un moins pour les femmes. ni même pour tous. Si on considère par exemple le RSA on peut constater que la familialisation des droits permet des contrôles sur les individus et sur les femmes en particulier qui sont "mariées de force" sur présomption de vie maritale et poursuivies comme fraudeuses. Elles doivent subir des enquêtes domiciliaires et de voisinage et leur vie amoureuse et fliquée et passée au crible par l'administration.

    L'individualisation des droits suprimerait ces controle ignoble et obligerait l'état à verser un droit à taux plein à tout individu. Il serait également impossible de verser un droit et demi pour deux personnes comme c'est le cas pour l'instant . Bien sur les droits sociaux sont un mode de contrôle des populations. Mais entre deux maux il me semble que nous gagnerions à voir nos droits sociaux individualisés.

     

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :