• A ce propos (Lieux communs 1) : La grande fixation

    Paradoxe inhérent au capital : lui qui met tout en mouvement ( les hommes, les machines, les marchandises, les codes sociaux, etc..) doit se garantir dans le même temps la disponibilité et la docilité de la force de travail. La destruction de la société paysanne, véritable acte fondateur, avec ses chronologies différentes selon les pays (Cf. Rance des années 50 ou tout le prolétariat flottant actuellement en Chine), suppose de plus que cette prolétarisation s’accomplisse comme disciplinarisation.

    Les phases dans la grande fixation de la force de travail en Occident sont bien connues : c’est l’exemple classique de l’Angleterre. D’abord l’accumulation primitive, les enclosures au XVeme siècle : clôture des champs ouverts et conversion des terres arables en pâturages, donc expulsion des paysans, mais « La création d’un prolétariat sans feu ni lieu –licenciés des grands seigneurs féodaux et cultivateurs victimes d’expropriations violentes et répétées- allait nécessairement plus vite que son absorption par les manufactures naissantes. D’autre part ces hommes brusquement arrachés à leurs conditions de vie habituelles ne pouvaient se faire aussi subitement à la discipline du nouvel ordre social. Il en sortit donc une masse de mendiants, de voleurs, de vagabonds. De là vers la fin du XV eme et pendant tout le XVI eme une législation sanguinaire contre le vagabondage. » (Marx Le Capital).  Déjà l’Etat  joue un rôle central dans l’organisation du futur marché du travail : le parlement adopte les « poor laws » qui répondent à la dislocation catastrophique du monde rural et décrètent l’obligation domiciliaire. Elles seront réformés en 1795, par la loi de Speenhamland qui instaure les « poor rates », sorte de revenu minimum : « (..) l’extension du système de Speenhamland et des systèmes de « distribution » sous toutes les formes s’explique par la pression des gros fermiers-dans un secteur qui a particulièrement besoin d’une main d’œuvre occasionnelle ou intermittante-soucieux de disposer d’une réserve de main d’œuvre permanente à bon marché. » (E.P. Thompson). Il y a à l’époque opposition entre la petite noblesse des campagnes et la bourgeoisie des villes sur le contrôle de la main d’œuvre, les poor rates gênant le développement d’un salariat moderne. Finalement Speenhamland est abolie en 1834, lorsque la bourgeoisie accède réellement au pouvoir politique, afin de permettre l’émigration de la force de travail vers les nouvelles manufactures. Enfin vers 1870, c’est la reconnaissance des premiers syndicats : leur existence suppose et permet une sédentarisation de la nouvelle classe ouvrière.

    La seconde phase c’est la grande fixation fordiste aux USA pour lutter contre la malédiction du Turn-over. La forte immigration européenne fournit à l’époque un prolétariat idéal : sans culture de  métier ni lien avec la vie campagnarde, bref sans autonomie possible. Mais, au tournant du Xxeme siècle, les résistances ouvrières commencent à freiner le développement du capital ce qui donne lieu à une double contre-offensive : d’abord le taylorisme qui avec le chronométrage veut briser la maîtrise ouvrière sur les temps de production puis le fordisme qui, avec la chaîne, subordonne complètement le travail vivant au travail mort. Le plus grand ennemi de Ford ce ne sont pas les syndicats, mais le turn-over, la fuite des ouvriers dès lors que les conditions de travail ne leur plaisent pas. D’ou la mise en place du 5 $/ day (Accompagné de contrôles tatillons de la moralité). Après les grandes grèves « sur le tas » des années 30 puis 40, Sloan à General Motors, va dépasser Ford en reconnaissant les syndicats et en les associant marginalement à l’organisation du travail. Hauts salaires, consommation de masse, syndicalisation, puis fonds de pensions voire intéressement et du côté de l’Etat, assurance chômage et sécurité sociale : la deuxième étape de la grande fixation est accomplie.

    Cette dynamique de confrontation entre les classes (le capital doit sédentariser les populations qu’il a mis en mouvement) détermine les évolutions ultérieures jusqu'à aujourd’hui (le capital doit mettre en mouvement une société sédentarisée dans un certain garantisme social CF la « réforme » et  les discours des journaflics sur les «blocages du marché du travail », « les freins à la croissance, etc.…). La fixation de la force de travail, mise en crise par l’insubordination ouvrière, est devenue un obstacle dont le dépassement, la fuite du capital, crée la dynamique d’internationalisation.

     


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